Mois de l'Histoire des Noirs versus l'Histoire d'Afrique
Février s’en vient. Il vient avec tout un tapage publicitaire et une panoplie d’activités devenues traditionnelles ici [au Canada], soi-disant qui rendent hommage aux personnes de race noire qui « se sont illustrées » dans différents domaines. Parmi tant de races qui peuplent les États-Unis, le Canada et le Québec, seuls les Noirs ont eu droit à ce privilège et à cet honneur de consécration qui dans le fonds frise la moquerie. Le flou règne autour de l’événement de février si bien que ce rituel devient agaçant aux yeux des africanistes qui, outrés par la Traite négrière transatlantique (TNT), réclament plutôt que les Noirs et le continent africain soient purement et simplement indemnisés.
Alors que j’étais suppléant en 2011, un élève de l’École secondaire Sieur-de-Coulonge n’a pas manqué de me poser une question franchement intrigante : « Monsieur, qu’est-ce que les Noirs ont inventé? » Bonne question. Il m’a fallu fouiner dans Internet pour trouver un site qui parle des inventions noires. 140, la liste étant non exhaustive selon le site africamaat.com qui a pour vocation de vulgariser "l’histoire scientifique du continent africain et de valoriser les découvertes et inventions faites par les personnes d’ascendance africaine à travers le monde". Mais beaucoup de ces inventions noires, malgré leur contribution à l'histoire de la civilisation au cours des derniers siècles jusqu'à aujourd'hui, n’ont pas été reconnues, au moins comme éléments précurseurs de la science moderne.
La légende du Mois de l’histoire des Noirs commence aux États-Unis d’Amérique en 1926 apparemment pour honorer deux grands abolitionnistes de l’esclavage, Frederick Douglas et Abraham Lincoln, tous deux nés en février. L’instigateur de cet événement [à l’origine Semaine de l’Histoire des Noirs] est le Dr Carter G. Woodson. Ce dernier a eu une idée géniale d’analyser « scientifiquement » les contributions des Noirs à l’histoire universelle. [Cfr Origine du Mois de l’histoire des Noirs, Ministère de l’Immigration et des Communauté culturelles.] Le courant semble gagner l’ensemble de l’univers occidental, toutefois ce réveil s’avère trop cérémonieux pour être anodin. Aux yeux d’un africaniste, l’Occident a trouvé une drôle de façon de se soustraire à son devoir de réparation envers l’Afrique.
Un monde sans injustice ?
Pour sa 21e édition en février 2012, le Mois de l'histoire des Noirs était célébré sous le thème « Imaginez un nouveau monde ». Selon le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec, ce thème servait aussi l'occasion de lancer une invitation aux Québécois et Québécoises, celle « d'imaginer ensemble un monde sans barrière et sans injustice où tous travailleront à sa réalisation. » Mais qu’est-ce qui est fait au concret pour que l’objectif exprimé dans ce thème ne reste pas un vœux pieux?
On ne peut pas prétendre parler de l’histoire des Noirs et ignorer leurs origines. L’histoire des Noirs, c’est leur quotidien de toujours et le quotidien des leurs qui sont restés sur le continent noir. Le Mois de l’histoire des Noirs, c’est idéalement le temps de réflexion profonde en vue de faire face à la douloureuse réalité d’un crime contre l’humanité qu’est la Traite négrière et toutes ses conséquences.
Les véritables enjeux de l’histoire des Noirs, qui devraient primer dans la programmation de février, c’est sûrement leur dignité, la discrimination et le racisme dont ils font l’objet au rythme quotidien dans les sociétés occidentales, c’est aussi le martyr que subit leur mère-continent, l’Afrique, suite à l’exploitation sauvage de ses ressources naturelles par les multinationales occidentales. Il faut lire Alain Dénault dans Noir Canada pour comprendre comment « un système politique et financier honteux a gangrené le monde occidental qui de fait légitime et soutient le pillage des ressources du continent africain ». Des millions de personnes sont massacrées annuellement dans des guerres par procuration en vue de l’accès à de riches gisements d’or, de diamant, de pétrole, d’uranium ou de Coltan pour ne citer que ceux-là. Les rescapés de ces guerres ou d’autres catastrophes endémiques aux pays des Noirs sont entassés dans des camps de réfugiés d’où les pays occidentaux font la sélection de candidats à la réinstallation. Ceci s’appelle « immigration humanitaire », une douce terminologie masquant les véritables raisons qui sont celles de faire face au déclin démographique et de renforcer la main d’œuvre en Occident.
On s'en fiche de l’Afrique!
Ne pas se soucier des problèmes qui font vivre le cauchemar aux Noirs tout en les éblouissant avec des récits de « contribution » à la société occidentale par les anciens esclaves, cela relève du sarcasme. Tels des naufragés, ces pauvres âmes qui tremblent de peur à la moindre allusion au retour en Afrique sont absolument acculés à l’acte de gratitude envers le pays hôte qui pour la plupart du temps finit par les naturaliser citoyens. Tant pis pour les congénères de l’autre côté de l’océan? Le Mois de l’histoire de Noirs aura sans doute pour effet de détourner le cœur des « réfugiés » de leur mère-patrie tout en jouant sur leur sensibilité à la flatterie. Ils n’ont pas de choix, ils s’y prêtent volontiers. Oui, on adore les Noirs quand ils font les clowns, c’est plus naturel, et on les abhorre quand ils veulent déterminer leur propre destin.
Février, le mois qui vient illusionner les Noirs et les tranquilliser dans leur sort d’éternels assistés. Qu’on me le dise seulement, à quand le Mois de l’histoire des Chinois ou des Arabes?
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