L'ONU face au défi des génocides africains
L’usage précipité du terme “génocide” dans le contexte rwandais constitue un véritable test d’intelligence et un défi de taille non seulement pour le peuple rwandais mais aussi pour l’ensemble de la communauté internationale. Pour la plupart du temps ce sont des émotions aveugles qui arrivent au premier plan et influencent les politiques, sans oublier aussi que des intérêts obscurs influent énormément sur les décisions qui, en fin de compte, font plus de mal que de bien. Dans le cas précis du génocide rwandais, ce sont ces émotions et ces intérêts qui ont par exemple présidé à des résolutions onusiennes hâtives et à la création d’un tribunal de honte appelé TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda).
Il y a eu des génocides au Rwanda, tout comme il y en a eu en République démocratique du Congo, mais la « certification » de ces produits [analysés sous l’optique économique] au niveau international dépendra toujours du vent qui souffle à New York. Les intérêts géopolitiques et commerciaux des grandes puissances y sont pour beaucoup, de l’extension de la zone d’influence à l’exploitation sauvage des ressources naturelles, aux dépens des peuples de la Région des Grands Lacs africains, leur souveraineté et leur devenir historique.
L’usage du terme « génocide » dans le contexte rwandais remonte à 1964 quand, réagissant aux calomnies des Tutsi alors réfugiés, le président hutu Grégoire Kayibanda a évoqué les conséquences désastreuses des attaques terroristes des Inyenzi [nom de code dont s’étaient affublés ces réfugiés] pour leurs congénères restés au pays. « À supposer par impossible que vous veniez à prendre Kigali d’assaut, comment mesurer le chaos dont vous seriez les premières victimes ? Je n’insiste pas : vous le devinez, sinon vous n’agiriez pas en séides et en désespérés ! Vous le dites entre vous : ‘ Ce serait la fin totale et précipitée de la race tutsi ‘. Qui est génocide ? » [Fin de citation, lire Eugène Rwamucyo]
Les Inyenzi ont attaqué le Rwanda à partir du Burundi sans discontinuer de 1961 à 1967. Alliés du régime tutsi du Burundi, ces réfugiés tutsi rwandais ont été mis en cause dans l’affaire du génocide perpétré contre les Hutu du Burundi en 1972 selon la récente déclaration de l’Ambassadeur burundais Willy Nyamitwe. Ce dernier a du même coup dénoncé les nouvelles tentatives de provoquer un autre génocide au Burundi, curieusement des Tutsi se sont fait prendre en flagrant délit en train de distribuer les tracts exhortant les Hutu du Burundi à massacrer les Tutsi, au moment où le président Kagame du Rwanda s’estime prêt à intervenir pour arrêter ce génocide. La coïncidence ne saurait être fortuite.
L’appellation du génocide rwandais a connu une évolution qui laisse pantois. Au départ les rebelles du FPR parlaient des atrocités et massacres visant les opposants dans les régions sous contrôle du gouvernement. Ensuite, après la victoire, le gouvernement du FPR a baptisé la tragédie qui a endeuillé le Rwanda « Génocide et crimes contre l’humanité », réalité qui pendant longtemps a prévalu aux Nations unies. Et voilà qu’en 2014, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte une nouvelle dénomination: Le «Génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda au cours duquel Hutu et autres qui étaient opposés au génocide ont également été tués. » [Lire Ismaïl Mbonigaba, battaille de nomenclatures]
Tout bien considéré la démarche consiste à identifier le responsable du génocide rwandais, très vraisemblablement les Hutu, et l’actuel régime se sert des témoignages aliénants des anciens dignitaires sous la 1ère et la 2ème République et de leurs descendants pour étayer cette thèse. L’abrutissement est à son comble. À admettre que le lavage de cerveau peut temporairement noyer toute la planète dans une goutte de larmes, est-ce que les historiens et les spécialistes occidentaux ignoreront qu’au Rwanda il y a eu une guerre civile au cours de laquelle des centaines de milliers de Hutu et de Tutsi ont été massacrés par une armée tutsi d'invasion ? Les archivistes des Nations unies auraient-ils volatilisé la copie des fameuses lettres du FPR, datées du 30 avril 1994 et celle du 14 mai 1994 et adressées au Conseil de sécurité des Nations unies, par lesquelles les rebelles tutsi s’opposent catégoriquement à l’intervention onusienne destinée à mettre fin aux atrocités dans les régions du Sud contrôlées par le gouvernement? En effet, le FPR assurait qu’il n’y avait point de massacres dans le Nord du Rwanda (Byumba, Ruhengeri et Gisenyi, bastion de l’ancien président Juvénal Habyarimana selon les rebelles.)
Avant d’en arriver au «Génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda au cours duquel Hutu et autres ont été tués», les experts des Nations unies ont mené des enquêtes sur les crimes de guerre commis en RDC, et voilà que l’armée du FPR et sa branche AFDL se retrouvent mises en cause dans le massacre des populations hutu, dont les réfugiés rwandais en majorité. Le UN Mapping Repport de 2010 ne peut être équivoque : « Au moment des incidents couverts par le présent rapport, la population hutu au Zaïre, y compris les réfugiés venus du Rwanda, constituait un groupe ethnique au sens de la Convention susmentionnée. Plusieurs incidents répertoriés semblent indiquer la possibilité que les multiples attaques visaient les membres du groupe ethnique hutu comme tel, et non pas seulement les criminels responsables du génocide commis en 1994 à l’égard des Tutsi au Rwanda et qu’aucun effort n’avait prétendument été fait par l’AFDL/APR pour distinguer entre les Hutu membres des ex-FAR et les Hutu civils, réfugiés ou pas. »
En concluant sur le chapitre des massacres contre les Hutu au Congo, le rapport a lancé la balle dans le camp du Conseil de sécurité des Nations unies en ces termes : « La question de savoir si les nombreux actes de violence graves commis à l’encontre des Hutu en 1996 et 1997 constituent des crimes de génocide ne pourra être tranchée que par un tribunal compétent. » Une question de curiosité qui pend sur les lèvres de nombreux observateurs depuis déjà 7 ans : Qui va créer ce tribunal « compétent » qui doit trancher sur le caractère génocide des massacres commis sur les Hutu au Congo? On parle globalement de plus de cinq millions de morts dans ce géant africain mis à genoux par l’armée d’un nabot voisin 90 fois plus petit! Le Maréchal Mobutu ne croyait pas si bien dire quand, réagissant aux attaques de ses opposants, il tenait ces propos : « Si vous voyez un chien perché sur une haute branche, ne vous attardez pas sur sa capacité de grimper. Posez-vous plutôt la question de savoir qui l’y a perché. »
Suite à l’échec lamentable du TPIR quant à la mise en lumière de la planification du génocide rwandais, et surtout à l’enquête sur l’attentat terroriste qui a déclenché la tragédie de 1994, les Nations unies se sont avérées propres-à-rien dans la solution de ce conflit complexe qui a embrasé toute la région. Cette institution contribue plutôt à un enfumage abrutissant, sûrement destiné à préserver les intérêts des puissances qui exploitent les richesses du Congo par alliés interposés. Ces puissances et leur outil utile ONU continueront de surfer sur le flou comme quoi d’une part les Hutu ont génocidé les Tutsi (ceci pour donner des ailes aux Tutsi) et de l’autre les Tutsi ont « probablement » génocidé les Hutu (quel soulagement pour ces derniers!), et des décennies - des siècles pourquoi pas?- s’écouleront sous l’agréable mélodie de la diversion.
L’attitude victimiste couplée d’aspirations hégémonistes et l’aveugle propension à séduire l’impérialiste détournent également les deux clans rivaux de la logique de résolution de conflits tel qu’inscrit dans la sagesse ancestrale rwandaise. En effet nul autre que Rwandais ne saurait mettre la lumière sur l’histoire violente voire génocidaire de Ruhuga, l’épée qui immolait les bambins hutu pour le seul plaisir de la Reine-mère Kanjogera. Qu’en est-il de l’émasculation des Hutu à des fins de décorer le tambour royal Kalinga? La déshumanisation et l’asservissement sont quant à eux des phénomènes qui ont lieu au Rwanda par alternance, car chaque régime tutsi a ses victimes hutu et vice versa. Les Nations unies apporteront-elles une quelconque solution, durable, au problème rwandais en faisant fi de ces réalités traumatisantes? Que nenni.
La recherche de solution pour la problématique rwandaise et par extension régionale relativement aux génocides n’incombe ni à l’incompétente ONU, ni aux incompétents spécialistes dont le silence reste assourdissant. Elle incombe exclusivement à l’élite intellectuelle rwandaise, burundaise et congolaise consciencieuse et soucieuse de la vérité, soucieuse de créer des nations réconciliées. L’ONU, les États-Unis, la France, la Grande Bretagne, Israël, la Russie etc. ne sont pas dans l’impératif de faire du babysitting des peuples arriérés, car toutes ces puissances sont en premier lieu soucieuses du bien-être de leurs populations. L’indifférence affichée devant les six millions de morts au Congo ne trompe personne.
Le cas d’un génocide évité de justesse au Burundi en 2016 malgré sa programmation vu le dispositif militaire déployé à partir de l’étranger pour déstabiliser ce pays, les velléités interventionnistes du voisin rwandais et la machine de désinformation bien huilée, ainsi que des coup-bas diplomatiques, devrait offrir matière à réflexion à toutes les personnes et organisations éprises de paix dans le monde. N’eût été le véto russe et chinois, le génocide aurait bel et bien pu avoir lieu au Burundi. [lire Ismaïl Mbonigaba]En plus de nombreuses autres preuves fournies au grand jour par le gouvernement burundais, l’ONU aura elle-même été témoin des activités visant la déstabilisation du Burundi à partir du Rwanda, mais tout cela ne fera nullement reculer les États-Unis et l’Union européenne qui veulent à tout prix la tête du président Pierre Nkurunziza.
La finalité poursuivie par les individus et puissances qui souhaitent un génocide au Burundi est la suivante : s’il y a un génocide au Burundi, il sera perpétré par les Hutu sur les Tutsi. On y parviendra en assassinant le président Nkurunziza qui est Hutu, ce qui est susceptible de déclencher une violence sans précédent. Deux présidents hutu burundais ont été tués en 1993 et en 1994 au moment où l’armée burundaise était quasi-exclusivement tutsi, et les populations hutu étaient chaque fois matées sans ménagement au cours des violences subséquentes. Maintenant que les Hutu sont majoritaires dans l’armée et dans toute l’administration, les conditions semblent réunies pour les pousser dans l’horreur. Et la conclusion sera que les Hutu sont génocidaires de nature et les Tutsi victimes dans le monde entier. Le piège n’a pas pris, jusqu’ici, mais le défi reste entier : comment mettre définitivement en échec les trafiquants des génocides africains? La balle est maintenant dans le camp des intellectuels consciencieux.
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