La Nation rwandaise est à réinventer
François Munyabagisha, écrivain rwandais
Une fois Paul Kagame a dit qu’en 1959 le Rwanda avait cessé d’exister. Il n’y a rien de plus vrai selon un penseur. C’est l’année où l’actuel président rwandais quittait en hâte son pays, à l’âge de deux ans, pour s’exiler en Ouganda. Cette époque marque la chute de la monarchie et la naissance de la République. Le pays dans le sens du président Kagame n’est pas des collines, ni des buildings, ni des vaches qui broutent dans les champs, le pays se porte plutôt au cœur. Et avec lui, il est resté pendant trois décennies d’exil.
Le Rwanda revient donc à la vie quand le général Kagame prend le pouvoir en 1994, au bout de quatre ans de guerre civile et le génocide qui ont coûté vie à plus d’un million de Rwandais. Le penseur François Munyabagisha, auteur de plusieurs ouvrages sur le Rwanda, dont le chef d’œuvre « Rwanda : Pourquoi Nos Fossoyeurs Sont-ils Vos Héros ? La face cachée des tragédies » explique qu’en s’en tenant aux propos de Kagame le pays n’existe pas également pour des centaines de milliers de Rwandais qui restent réfugiés en ce moment même où nous écrivons ces lignes.
Monsieur Munyabagisha estime que le Rwanda, en tant qu’État-nation, est à réinventer. Il se base sur l’interminable conflit de pouvoir et l’échec permanent des régimes successifs à Kigali de mettre en place un système de gouvernance cohérent et fondamentalement humain, reposant sur les normes consensuelles et universellement acceptables. C’est la définition même de la République. Le penseur rwandais se dit en outre sceptique quant à l’éventuel changement dans un proche avenir, tant sous Kagame que sous un quelconque successeur.
Défi lancé aux intellectuels
Monsieur Munyabagisha est catégorique. Dans ses termes, ce qui fait présentement défaut à tous les Rwandais c’est la République. Cette dernière était mort-née car à partir du moment où une partie du peuple s’est retrouvée rejetée ou reléguée au rang de citoyen de seconde zone, ce n’est ni un parti politique ni une armée rebelle qui pourront y remédier. « Ça prend des cerveaux nobles, des libres penseurs qui transcendent les partis politiques et tout genre d’appartenance, ethnique, régional, religieux ou autre », dit le penseur. Il enjoint aux intellectuels attelés à la réinvention de la République de le faire sans se regarder ni regarder la génération présente, mais de penser plus aux générations futures lointaines.
L’auteur de « Rwanda : Amahindura, Umuvuno w’Ubwiyunge Nyakuri » (Rwanda : Vent du Changement, L’Algorithme d’Une Véritable Réconciliation) affirme que ce sont des lumières venant de divers libres penseurs qui doivent servir d’inspiration aux politiques lors de la rédaction de la Constitution. À l’ère de l’Illuminatio et salus populi, ces chercheurs analysent librement des enjeux, ils publient des revues (scientifiques), ils font des débats (de pairs), et bingo! Un système se trouve créé, qui apporte une panacée contre les copier-coller des solutions adaptées aux contextes britannique, américain ou français. De même pour la Constitution, les génies de la réflexion sont tenus de nous en forger une qui se veut millénaire. Car « sans une constitution solide, il n’y aura pas d’institutions solides », conclut M. Munyabagisha.
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