Diversions et fausses expectatives dans la politicaillerie rwandaise
En 1994, dans un camp de réfugiés en République démocratique du Congo [anciennement Zaïre] un célèbre chanteur lançait un titre le plus galvanisant de tous les temps : « Rwigere urumpe », chantait Simon Bikindi en s’adressant à Paul Kagame qui, à la tête du Front patriotique rwandais (FPR) et son armée APR, venait de conquérir militairement le Rwanda. « Elle est courte, ta victoire », signifiait-il au général rebelle. La chanson de l’artiste Bikindi faisait évidemment écho du discours de l’état-major des Forces armées rwandaises (FAR) en débandade qui répétait désespérément que l’exode massif n’était qu’un repli tactique. Ainsi la chanson exhortait les trois millions de réfugiés essentiellement hutu de patienter et de rester solidaires avec leur armée qui bientôt allait chasser Kagame et ses Inkotanyi. Aujourd’hui, 23 ans après la prise du pouvoir par le FPR, il y en a encore qui misent sur le départ immédiat de Kagame pour motiver leur politique sans pour autant en dévoiler une moindre stratégie. Il faut aussi ajouter que les vestiges des FAR, couramment appelés FDLR, servent toujours de démonstration virtuelle de force sur laquelle bon nombre de Rwandais apatrides fondent leurs espoirs de retrouver leur pays, tôt ou tard.
Kagame indéfiniment président?
Conformément à la nouvelle Constitution du pays, l’homme fort de Kigali pourrait rester assis dans son fauteuil pendant quarante ans. Aux commandes depuis 1994, le général Kagame a fait une transition de 9 ans avant de rédiger une constitution qui lui permettait deux mandats de sept ans en 2003. La constitution de 2003 stipulait qu’en aucun cas « nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ». Nombreux sont ceux qui avaient espéré que 2017 serait une « honorable » échéance pour le despote qui, durant toutes ces années à la tête du pays, aura fermé hermétiquement l’espace politique rwandais en emprisonnant les opposants ou en les éliminant physiquement. Le changement de la constitution est un coup dur pour les activistes de la démocratie puisque, de toute évidence, le général Kagame n’est pas prêt à perdre les élections qu’il organise lui-même. Seulement, va-t-il se maintenir paisiblement jusqu’à 2034 comme suggéré? Rien n’est moins sûr.
L’opposition fait le jeu du FPR
Si le FPR a occupé seul la scène politique pendant ces deux dernières décennies, cela ne veut pas dire que le parti de Paul Kagame est trop fort pour être battu. Il est plutôt renforcé par la naïveté et l’amateurisme bien-pensant incarnés par les partis et politiciens dits de l’opposition, car c’est par pure naïveté, par exemple, que Monsieur Faustin Twagiramungu se soit apprêté au jeu électoral de 2003 face à un Kagame qu’il a vu se métamorphoser de maquisard en chef d’état. Sous les yeux médusés du patriarche de l’opposition rwandaise, alors Premier Ministre désigné par les Accords d’Arusha, le général Kagame s’est improvisé Vice-président du Rwanda en 1994 et a imposé son mode de gouvernance basée sur la terreur, les disparitions et même les assassinats. Les contestataires en ont eu pour leur audace, y compris M. Twagiramungu lui-même qui a seulement pu constater que les démocrates n’avaient pas leur place à Kigali. Il a vu ses compagnons ignominieusement assassinés tant au Rwanda qu’à l’étranger, notamment Seth Sendashonga, Théoneste Lizinde et Assiel Kabera, au moment où d’autres [l’ex-président fantoche Pasteur Bizimungu et son ministre Charles Ntakirutinka] se faisaient coffrer pour avoir tenté de fonder un parti politique.
Lors de la campagne électorale de 2003, le général Kagame a clairement dit à M. Twagiramungu qu’il était hors de question de céder le pouvoir, illustrant le Rwanda comme une maison qu’il a construite lui-même et que la moindre idée qu’il avait en tête était d’offrir un hébergement à quiconque le demanderait. « Cette maison appartient au Peuple rwandais, ce qui veut dire que le locataire doit signer un contrat de bail avec le propriétaire », a rétorqué le candidat indépendant Twagiramungu qui croyait toujours en la démocratie, expliquant que le contrat de bail n’était autre que cette élection présidentielle. Au lendemain du scrutin, la Commission électorale proclamait le général Kagame victorieux avec un score stalinien de 96% des voix! Le naïf démocrate n’a récolté que 3%. Faustin Twagiramungu a tout compris quand, à son grand étonnement, il a constaté que dans sa préfecture d’origine, Cyangugu, son bastion, il avait eu presque 0%, au moment où dans certaines régions comme à Gisenyi, son adversaire avait paradoxalement obtenu jusqu’à 101% des voix! Il faut souligner que Gisenyi est le fief du général Juvénal Habyarimana, l’ancien président assassiné le 6 avril 1994. Après la frauduleuse victoire du général Kagame [les témoignages des dissidents du FPR font état de fraude massive en 2003 alors que Faustin Twagiramungu avait obtenu 63% des voix] l’opposant historique a plié les bagages pour se retrouver de nouveau sans son asile de Bruxelles, accueilli par les critiques les plus acerbes comme quoi par sa participation aux élections il avait cautionné la tyrannie et mis la vie de ses partisans en danger.
L’année 2010, une autre mascarade électorale au Rwanda. Et une autre dynamique d’accompagnement comme il se doit. En effet, le général Kagame est le seul à rester fidèle au principe de ne pas répéter l’erreur du passé. Il ne laissera pas la candidate Victore Ingabire faire campagne, ni faire enregistrer son parti FDU. Un des acolytes de la naïve candidate s’est vite fait arrêter pour génocide dès leur retour au pays, tandis qu’un discours prononcé apparemment au mauvais endroit et au mauvais moment, précisément devant le mémorial du génocide perpétré contre les Tutsi, a précipité la fin de son aventure avant d’être condamnée à 15 ans de réclusion. Son crime? Mme Ingabire a fait allusion aux massacres qui ont ciblé les Hutu, tant par l’APR que par les FAR! Cela a été interprété comme un clin d’œil aux congénères qui constituent la majorité du peuple à qui le FPR impute collectivement le crime de génocide. Avant Mme Ingabire, le candidat indépendant Dr Théoneste Niyitegeka a subi un similaire sort que lorsqu’en 2003 il a placé sa campagne sous le thème de la redistribution des terres. L’enjeu est très sensible dans le sens où le FPR a dépossédé les propriétaires fonciers de leurs terres sans compensation, ce qui pourrait servir de détonateur d’un conflit.
En 2017, ceux qui avaient misé sur la fin des mandats du général Kagame pour accéder à la magistrature suprême sont en train de mordre la poussière. Il a supprimé pour lui la limitation de mandats et le despote projette sa retraite à l'âge honorable de 77 ans. Sans devoir leur faire subir le même traitement que leurs prédécesseurs, à cette occasion électorale le général a décidé de garder hors-scène les acteurs de son feuilleton. La deuxième tentative de Faustin Twagiramungu était étouffée dans les procédures consulaires d’obtention de visa, alors qu’il souhaitait rentrer en 2013, suffisamment à l’avance pour préparer son électorat. Deux tentatives de l’abbé Thomas Nahimana qui voulait rentrer au Rwanda fin 2016 et début 2017 avec un visa délivré par la Communauté est-africaine ont également été infructueuses. À chaque occasion il était enjoint aux compagnies aériennes de ne pas prendre l’encombrant Nahimana, chef du parti Ishema, à bord pour des vols en destination de Kigali. Cependant, l’invisible misère du général président est loin de trouver sa solution.
Une opposante hors du commun
C’est contre toute attente que les Rwandais ont appris début mai 2017 que Diane Shima Rwigara se portait candidate indépendante à l’élection présidentielle d’août prochain. Fille ainée de l’homme d’affaires hautement influent Assinapol Rwigara assassiné en 2015, Diane s’est illustrée dans la dénonciation de la mort de son père et les persécutions consécutives par le régime du général Kagame. Les Rwigara sont des Tutsi rescapés du génocide et grands supporters de première heure du FPR. Ils font partie de la classe de rescapés tutsi riches sous la 2ème République, comprenant notamment Valens Kajeguhakwa, Védaste Rubangura, Bertin Makuza, Évariste Sisi, André Katabarwa etc. Profondément marquée par l’assassinat de son père, la destruction de l’hôtel familial et la confiscation d’autres biens, sans oublier les harcèlements policiers, Diane Rwigara veut axer sa campagne sur la lutte contre la pauvreté, l’injustice et l’insécurité. « Tuzaceceka kugeza ryari? », avait-elle précédemment lancé, se demandant jusqu’à quand les Rwandais devaient rester muets face aux injustices sociales.
Le régime du FPR était pris de court par l’annonce officielle de candidature par Diane Shima Rwigara âgée seulement de 35 ans, et les réactions qui s’en sont suivi étonnent par leur brutalité et leur obscénité. Diane qui par son discours brillant et surtout par son jeune âge accumule déjà des soutiens enthousiastes pourrait voir sa candidature rejetée par la commission électorale suite à la publication, par ses détracteurs, des clichés de nudité explicite qu’on lui attribue, bien que les analystes affirment que ces photos ont été manipulées par les services secrets du régime.
Ça relève franchement d’un courage exceptionnel de défier à partir du sol rwandais le régime du général Kagame qui règne en véritable tyran, si on n’est pas une création du FPR. Contre vents et marées, Dr Frank Habineza est parvenu à faire enregistrer son parti des Verts démocratiques (RDGP) en 2013. Son Vice-président et bailleur de fonds André Kagwa Rwisereka était assassiné en 2010, une année seulement après la création du parti, pour avoir quitté le FPR. Le secrétaire exécutif du parti, Monsieur Jean Damascene Munyeshyaka est porté disparu depuis 2014. Dr Frank Habineza est le seul politicien sur le sol rwandais à avoir opposé publiquement le changement de la constitution en 2015, il a même adressé sans succès une pétition au Parlement rwandais et une plainte à la Cour suprême. En 2016 il fut désigné par son parti candidat à l’élection présidentielle de 2017.
L’amateurisme au meilleur de lui-même
Parmi ceux qui ont annoncé, tambour battant, leurs ambitions présidentielles pour 2017 figure également un certain Jean Daniel Mbanda [Photo ci-contre]. Il est fondateur du parti CONIC très peu connu dans son exil canadien. Il est rentré du Canada en avril pour aller faire campagne en indépendant, mais en mai [un mois avant le début officiel des campagnes] il a annoncé son retrait de la course et son soutien indéfectible au général Kagame. M. Mbanda s’était attiré beaucoup de sympathie et d’appuis parmi les Rwandais en l’an 2000 quand il a publié une Lettre ouverte aux « dirigeants » des familles politiques FPR, MDR, PDC, PDI, PSD, PSR, UDPR par laquelle il dénonçait le penchant totalitaire du régime FPR et le laxisme de toute la classe politique. À cette époque M. Mbanda était emprisonné sur base d’accusations de détournement. Un autre candidat indépendant, le nommé Philippe Mpayimana, est rentré de la France en février. Admirateur du général Kagame et des réalisations du régime FPR, M. Mpayimana se voit comme un continuateur plutôt qu’un innovateur.
Les observateurs de la politique rwandaise s’accordent sur une chose : absence de professionnalisme. On ne peut pas parler de professionnalisme politique dans un pays où les institutions républicaines sont dégradées. Le penseur et écrivain rwandais François Munyabagisha affirme que le Rwanda est un système fasciste, et que ceux qui prétendent faire la politique manquent lamentablement des notions les plus élémentaires de cette discipline. « Il n’existe pas de démocratie dans le fascisme », avance-t-il. Monsieur Munyabagisha compare la politique rwandaise à juste une comédie de mauvais goût, une fumisterie à effets de défoulement et de distraction. L’avide appétit des protagonistes politiques pour le pouvoir a, depuis que le Rwanda s’appelle le Rwanda, transformé ce pays en une jungle contrôlée tour à tour par des cliques sanguinaires.
À la lumière de la farce, de la naïveté, de la trahison, des intrigues et même des crimes qui jalonnent l’histoire politique rwandaise, l’amateurisme trouve tout son sens dans la mesure où l’aspect intellectuel continue de faire défaut tant chez les détenteurs du pouvoir que chez les aspirants.
D’où viennent alors les espoirs de déboulonner le général Kagame?
Qu’ils soient des partis officiellement enregistrés au Rwanda, qu’elles soient des coteries évoluant dans la diaspora, qu’elles soient des armées ou des milices menaçant virtuellement les frontières, qu’ils soient des hommes ou des femmes complaisants ou téméraires, rien ne semble apprivoiser ni inquiéter le tyran de Kigali. Paul Kagame reste qui il est, fait ce que bon lui semble, l’opposition ne fait que suivre la trainée de poussière soulevée par la caravane. Créativité zéro, innovation zéro. Tout tourne au rythme de la diversion parfois créée par le général Kagame et sa puissante machine de Relations publiques (PR). C’est pour cela qu’au sein de l’opposition des solutions miracle ne cessent de tomber du ciel : Un groupe de collaborateurs se déclare dissident? Voilà, Kagame est fini! Kagame a assassiné tel et emprisonné tel autre? Lui aussi ses jours sont comptés! Une enquête indexe Kagame dans l’affaire de l’attentat du 6 avril ou dans le génocide congolais? Ma foi, il sera bientôt menotté et jugé à Arusha! Un coup de gueule d’un diplomate américain ou de l’UE au sujet d’un troisième mandat? C’est fini, on l’a lâché! Le peuple est affamé? La révolte est inévitable! Quelqu’un a dit qu’il faut dialoguer avec les FDLR? Enfin! Etc. etc. Et pourtant en 2013, lors d’un forum de jeunes [Youth Connekt Dialogue], le général Kagame a clairement et publiquement questionné la capacité de ses détracteurs : « ne soyez pas dupes, par quels moyens vont-ils me chasser du pouvoir? », s’était-il moqué.
Le penseur Munyabagisha [photo ci-contre] donne ici quelques astuces qui sûrement ne plairont pas aux comédiens pressés de devenir présidents. Ces derniers adressent des requêtes pour la démocratie auprès d’un fasciste, sachant pertinemment qu’il ne peut pas commettre un suicide. M. Munyabagisha dit que d’abord le problème rwandais ne doit pas se limiter à Kagame, ni au FPR, ni à Habyarimana, ni à la Révolution de 1959... « Le problème rwandais se résume exclusivement à cette question fondamentale : sommes-nous d’abord réconciliés avec notre histoire avant de rêver de la démocratie? », s’insurge-t-il. Il dit qu’à observer les prétendants au pouvoir qui jurent uniquement par la mort du tyran Kagame et l’anéantissement du dragon FPR, l’alternative au fascisme serait inévitablement l’oppression s’ils parvenaient à prendre le pouvoir aujourd’hui. L’auteur de « Rwanda, Pourquoi Nos Fossoyeurs Sont-ils Vos Héros ? – La face cachée des Tragédies » analyse tout de même la fin du général Kagame. « Aussi longtemps que ses piliers restent solides, personne ne fera bouger Kagame », fait remarquer M. Munyabagisha.
Les piliers dont il est question sont d’abord le génocide considéré comme un produit de marque sinon un fonds de commerce pour le général Kagame et le FPR. Ce produit est-il toujours en vogue ou pas? Le génocide reste-t-il un instrument de contrôle politique à l’interne comme à l’international? Le deuxième pilier de Kagame est le noyau dur [en fait le cerveau] du FPR et ses hommes de l’ombre. Est-ce que Kagame exerce toujours un contrôle absolu sur ce noyau du FPR [Rutaremara, Jacques Nziza, Kabarebe et Musoni entre autres]? Le troisième pilier est le pouvoir financier : La source de l’argent est-elle stable et intarissable? Le commerce est-il prospère? Le staff est-il motivé et enthousiaste?
À part les piliers du général Kagame, les aspirants au fauteuil d’Urugwiro feraient mieux d’examiner minutieusement ses soutiens et les intérêts de ces derniers. Les soutiens de Kagame sont ceux qui l’ont installé au pouvoir et qui l’ont continuellement aidé à se débarrasser de ses adversaires. Parmi ces soutiens comptent en premier lieu le président ougandais Yoweri Museveni, l’ex-président américain Bill Clinton et l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair. « L’opposition aurait tout intérêt à prendre sérieusement en considération l’anecdote du chien perché sur une haute branche d’arbre », blague notre penseur. M. Munyabagisha estime que les individus et les puissances qui ont soutenu le général Kagame avaient des intérêts à défendre, et que seule l’absence de ces intérêts pourrait mettre en péril leur soutien.
Écrivain, auteur de plusieurs ouvrages sur le Rwanda, François Munyabagisha fustige ce qu’il appelle l’improvisation dans la politique rwandaise actuelle axée sur les valeurs et comportements rétrogrades, et invitent les Rwandais à retrouver la sagesse de notre société. Il dit que ceux qui ont des convictions républicaines et aspirent aux hautes fonctions doivent se soumettre à une initiation formelle avant de les exercer. « Même les princes recevaient des initiations tout au long de leur enfance avant de devenir rois » observe M. Munyabagisha, soulignant la nécessité d’acquérir la maturité de raisonnement et de discernement chez nos politiciens. « Il faut développer, promouvoir les valeurs et l’éthique républicaines pour ensuite pouvoir créer des institutions sacrées », ponctue le penseur Munyabagisha qui à cet effet invoque la sagesse rwandaise Ubupfura, avant de constater amèrement que les intellectuels rwandais ne sont pas encore prêts.
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