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RÉCONCILIATION AU PRIX DE L’AUTOACCUSATION

Et si le gouvernement fuyait ses responsabilités?


Le principe de dialogue et de compromis fait l’unanimité parmi les Rwandais, mais les divergences continuent de persister quant à l’aspect méthodologique et spécialement à l’appréciation de la matière à débattre. Initiatives et programmes se sont succédé depuis vingt ans, tant par le gouvernement que par la société civile, mais le chemin à parcourir reste visiblement très long eu égard à notre histoire jalonnée de crimes de masses et de vengeance.


La politisation des ethnies arrivant en tête de liste des facteurs ayant conduit à l’exécution du génocide, l’actuel gouvernement a été fortement exalté pour avoir franchi une étape cruciale de leur bannissement, en livrant une carte d’identité sans mention ethnique, et en instituant des lois punissant l’idéologie du génocide. La seule identité collective étant Ubunyarwanda. Alors que l’absence des ethnies hutu, tutsi ou twa dans l’exercice de la politique constituait un énorme pas en avant, « Ndi Umunyarwanda» risque de replonger le pays dans la discorde. Il faut aussi remarquer que ce programme a surgi à une époque où le régime du FPR connaît des contradictions internes, et la culpabilité des Hutu ne serait invoquée que dans le cadre d’artifices politiques.


En principe, cette stratégie est commune à tous les régimes qui connaissent des difficultés conjoncturelles, où l’on recourt à des boucs-émissaires pour apaiser les dissensions internes. Lors de sa retraite du 9 et 10 novembre 2013, le gouvernement rwandais a formellement approuvé un programme dénommé « Ndi Umunyarwanda » [traduction : Je suis Rwandais] comme sa énième tentative de réconcilier les Rwandais, mais la polémique et l’indignation n’ont pas tardé à éclater autour du rite de confession qui doit accompagner ce programme.


Albert Einstein aura un jour dit : « On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés. » Ndi Umunyarwanda revêt un caractère extrêmement troublant, contreproductif et dangereux, ainsi faut-il indiquer que les ethnies qui avaient disparu dans le jargon gouvernemental ont subitement resurgi. Le gouvernement a estimé que le génocidedes Tutsi a été commis par les Hutu au nom de leur ethnie. Par conséquent, chaque Hutu est sensé demander pardon au nom des Hutu qui ont commis ce génocide, en vue de la réconciliation et la paix..


En préambule au programme Ndi Umunyarwanda, le président de la République Paul Kagame s’adressait en ces termes à une assemblée des jeunes le 30 juin 2013 dans le cadre du « Youth Connekt Dialogue ».[Traduction du Kinyarwanda] « Une personne [plus] héroïque est celle qui assume la responsabilité de son crime et aide même les autres à assumer la leur. C’est à dire qu’elle peut assumer la responsabilité pour un crime commis par autrui juste parce qu’elle est affectée par les conséquences de ce crime. […] Chaque jour il y a nombreuses gens, nombreuses histoires qui vous montrent à quel point notre Rwanda a été tellement souillé. C’est possible de rectifier ça à travers vous, bien que ce soit difficile, nous devons le faire et je vois que nous sommes déjà dans le processus. Mais cela exige de l’héroïsme, ça demande du courage. Alors vous qui êtes encore jeunes, exempts de ses fardeaux dont beaucoup ont parlé aujourd’hui, soyez avant-gardistes. Nous mêmes, vos ainés ou vos parents, nouscomptons sur vous. Nous avons été incapables de réaliser certaines choses, qui peut-être nous dépassent, mais nous disons ‘les jeunes le feront’. Je veux qu’à ce propos nous soyons concrets et ne pas enrester aux voeux pieux ou aux lamentations… Je veux que nous l’exprimions avec espoir et conviction quant au résultat, n’est-ce pas? Autrement la souillure des Rwandais, la souillure que certains Rwandais portent davantage parrapport aux autres, mais qui retombe sur tous les Rwandais, est excessive. »


Les dangers de l’autoaccusation


Ndi Umunyarwanda est un programme qui a l'allure d'une campagne visant la culpabilité collective hutu versus l'innocence collective tutsi. Legouvernement entend éradiquer l’idéologie du génocide par la conscientisation d’un groupe social qu’il identifie comme responsable du génocide, porteur de la souillure et dont les membres doivent se purifier par une pénitence solennelle. Pour donner l’exemple, les membres hutu du gouvernement, de l’Assemblée nationale et du sénat sont passés aux aveux pour leurs propres manquements ou ceux de leurs ascendants sous les régimes qui ont "fait ou fomenté" le génocide.


La polémique reste cependant vive quant à la responsabilité collective des Hutu qui, en règle générale, doivent demander pardon auxTutsi, quel que soit l’âge y compris les jeunes hutu de vingt ans ou moins, nés après le génocide. D’où l’inquiétude de voir le génocide converti en péché originel pour les Hutu, et ce éternellement. Par le programme Ndi Umunyarwanda, le gouvernement rwandais s’expose à des critiques voulant que le retour des ethnies est un signe manifeste du réveil de radicalisme lourd de conséquences. Paulo Coelho a dit « Lorsque vous répétez une erreur, ce n'est plus une erreur: c'est une décision.»


L’actuel gouvernement a donc décidé que les Rwandais fourbissent de nouveau leurs armes en fuyant ses propres responsabilités. Sachant que le génocide était exécuté par des groupes relativement organisés qui, àcertains endroits, pouvaient même être ethniquement hétérogènes d’où la présence des éléments tutsi ou twa sur la liste des coupables, le gouvernement devait chercher du côté des structures institutionnelles pour conscientiser les autorités. La responsabilité du gouvernement en tant qu’institution dans le génocide est étonnamment passée sous silence dans le programme NdiUmunyarwanda où, quand on y fait allusion, on le fait de façon superficielle. Si les institutions avaient accepté leurs responsabilités jusqu’au sommet de l’État, cela aurait allégé les allergies entre individus sans pour autant entamer la justice.


Il aurait été d'ailleurs opportun de mettre en oeuvre Ndi Umunyarwanda juste après la chute du régime génocidaire en 1994. À cette époque le Chef de l’État aurait donc dû, au nom du gouvernement rwandais, demander humblement pardon au Peuple rwandais pour le crime d’État dont s’est rendu coupable legouvernement Abatabazi contre lesmembres de ce peuple réputés Tutsi. Demander humblement pardon à l’Humanité entière, cette fois-ci au nom de l’État rwandais, pour le crime de génocide que le gouvernement Abatabazi a perpétré contre les Tutsi.


Le discours de la haine et de la division, la suprématie ethnique et l’intolérance sont de retour au Rwanda, tel le démon qu’on avait chassé et qui revient au galop. Ndi Umunyarwanda ne manquera pas d’exacerber le ressentiment chez les Hutu qui, sous le bannissement des ethnies,tendaient en général à émousser leurs revendications quant aux victimes hutu de la tragédie rwandaise. Ce n'est qu'un secret de Polichinelle, l'armée tutsi a commis des crimes graves contre les populations hutu, tant au Rwanda que dans les forêts de la RDC. Le Mapping Repport de l'ONU parle d'un possible génocide. C'est soigneusement docummenté et ce rapport constitue une épée de Damoclès.


Afin d’éviter la catastrophe, le gouvernement devrait mettre l’accent sur l’aspect « vérité » du programme Ndi Umunyarwanda et gommer les vicieuses pratiques d’autoaccusation et de pénitence ethnique qui constituent une véritable bombe à retardement. Et, à la place, pourquoi ne pas initier un programme plus unificateur et beaucoup plus mobilisateur « Notre Rwanda »?

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