On en a ras-le-bol de cette farce politique
On ne parlera jamais assez de l’impératif du changement au Rwanda et de l’ingrédient intellectuel sans lequel la mayonnaise démocratique ne prendra jamais. Certes, notre discours sur la responsabilité citoyenne et la conscience collective peut paraître froissant de par sa nature globalisante quand il s’agit d’éperonner l’élite, nous répondons cependant à l’obligation morale de faire évoluer le débat et le processus démocratique.
« Tous les projets d’ordre politique et à caractère social qui engagent le destin de tout un peuple méritent l’utilisation de tout le potentiel humain et la concertation, particulièrement le concours de l’élite rwandaise », a dit Victor Manege Gakoko. La sensibilité à l’urgence du moment constituant donc un critère important de la recherche de solutions, l’absentéisme sera toujours considéré comme une capitulation avant le combat ou, dans l’optique pessimiste, comme une tacite complicité qu’on pourrait qualifier de trahison.
La décente effrénée du Rwanda aux enfers, l’échec des révolutions et l’éternel fourvoiement des acteurs politiques, sont autant de facteurs qui soulèvent une interrogation légitime : « Est-ce qu’il y a des intellectuels dans ce pays? », en insinuant que l’intellectuel se distingue par la critique objective et par l’action et non par la résignation. À l’église de ma localité (Bellechasse), le pasteur Jean-Yves Marleau a livré une homélie qui a fort retenu mon attention : « Nous avons un ennemi dans ce monde qui aime limiter notre potentiel à faire une différence dans la vie des autres. Une des façons qu’il nous limite c’est en assaillant notre estime de soi. L'échec, la critique et le rejet peuvent aussi faire des ravages sur notre estime de soi si nous les permettons. Par conséquent, plusieurs gens portent des masques en public et ne prennent pas de risques dans la vie parce qu'au fond d'eux ils combattent l'insécurité [et la peur]. Ils craignent d'être rejetés si quelqu'un découvre à quel point ils ne sont pas parfaits. » À ce que le pasteur a dit, je n’ajoute rien.
L’esprit grégaire et le suivisme chez les Rwandais sont deux attitudes extrêmement inquiétantes qui contribuent aux crimes graves par association ou par omission (ou au suicide, tels les moutons de Panurge) et, par conséquent, à la condamnation indiscriminée des masses. L’intellectuel doit prendre son courage à deux mains et se démarquer de la masse, accepter d’être jugé voire d’être attaqué quand il a l’intime conviction que de ses principes découlent l’estime de soi et l’engagement ferme envers la collectivité. Pourquoi par exemple l’intellectuel rwandais du XXIe siècle doit-il accepter de se fondre dans l’un ou l’autre de ces blocs traditionnellement antagonistes, foncièrement bigleux, qui l’entrainent dans une logique carrément belliciste? Pourquoi une majorité intellectuelle accepte-t-elle d’être asservie par une infime minorité égocentrique?
Deux décennies à tourner en rond
Un effort intellectuel est désormais indispensable pour sortir de cette routine léthargique, ce calvaire qui dure depuis plus de 20 ans pour la plupart de réfugiés rwandais dont le rêve le plus cher est de regagner le berceau ancestral. Les partis politiques d’opposition de la diaspora dont l’espérance de vie est considérablement courte ne cessent naitre, de se scinder en deux ou en quatre, de se métamorphoser et de mourir pour laisser à leurs éternels présidents fondateurs le soin de changer les couleurs de drapeau. Aucun projet de société, aucune innovation d’ordre idéologique, aucune action ni stratégie susceptibles de contribuer à l’alternance.
On a observé des cas où un parti politique est utilisé par beaucoup de politiciens qui végètent dans leur asile comme une marque de commerce ou un moyen de se vendre moins cher ou recevoir la manne de Kigali, au moment où leurs homologues se livrent une guerre sans merci, se permettant même des erreurs graves en vue de se positionner en tant que mâle dominant.
Las de ce divertissement plutôt ennuyeux de nos « patineurs politiques » qui ignorent tout sur les règles du jeu politique, les citoyens consciencieux et responsables devront exprimer leur ras-le-bol et imposer les règles de jeu transparentes dans l’intérêt collectif. Mieux vaut tard que jamais.