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BATAILLE DE NOMENCLATURES AUTOUR D'UN GÉNOCIDE

Les Nations Unies en voie de reconnaître le « Double génocide » au Rwanda ?

Génocide, Génocide rwandais, Génocide contre les Tutsi, Génocide contre les Hutu, Génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda au cours duquel Hutu et autres ont été tués, Double génocide… Même si tout ce qui s’est passé ne fait aucun doute et chaque crime se trouve archivé, nous sommes loin d’aboutir à un consensus sur le nom que doit porter une tragédie qui a frappé le Rwanda et qui n’en finit pas de frapper au regard de l’intolérance politique encore croissante dans ce pays.


Autant de dénominations indiquent en fait la complexité de la problématique dont la toile de fond reflète les manigances politiques de portée tant nationale qu’internationale. Le plus récent prénom qui fait jaser s’est greffé dans la Résolution 2136 du 30 janvier 2014 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies concernant la paix en République démocratique du Congo et dans la sous-région dans un paragraphe livré comme suit : [Libre traduction]

« Prenant, avec une profonde préoccupation, note des informations faisant état de collaboration entre les FARDC et les FDLR au niveau local, rappelant que les FDLR constituent un groupe sous sanctions des Nations Unies et dont les dirigeants et membres comprennent les auteurs du génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda, au cours duquel les Hutus et les autres qui étaient opposés au génocide ont également été tués, et qu’ils ont continué à promouvoir et commettre des meurtres sur base ethnique et autre au Rwanda et en RDC, et soulignant l'importance de régler définitivement le problème de cette menace »… [Référence(http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/RES/2136+%282014%29)]


Implications :


À la lecture de ce paragraphe, les milieux proches du Front patriotique rwandais (FPR) crient victoire. De son côté l’opposition indignée crie au scandale. Jusque là, le nom que les Nations Unies avait adopté était « Génocide de 1994 au Rwanda » et la Résolution 58/234 de son Assemblée générale du 23 décembre 2003 instituait le 7 avril comme « Journée internationale de réflexion sur le génocide de 1994 au Rwanda ». Dans un pays où le gouvernement s’est investi pendant deux décennies dans une politique de réconciliation nationale axée sur l’occultation des ethnies allant jusqu’à la criminalisation de tout langage faisant allusion aux différences ethniques, les Nations Unies ne pouvaient trouver meilleure dénomination que « Génocide de 1994 au Rwanda ». Car, depuis 1994, le chiffre symbole de 1 million de victimes assassinées (selon le Programme de communication sur le Génocide au Rwanda et les Nations Unies - http://www.un.org/fr/preventgenocide/rwanda/) semblait apaiser les naïfs prêts à tourner cette page sombre de notre histoire.


Maintenant, le débat ne fait que commencer. La formulation du Conseil de sécurité des Nations Unies qui mentionne « les Tutsi et les Hutu » comme victimes, évidemment à des degrés différents, du génocide de 1994, sans mentionner les Twa, la troisième composante ethnique du Rwanda, soulève beaucoup de questionnements et appelle à la révision de toutes les copies. La nouvelle dénomination arrive à point nommé, alors que le gouvernement rwandais vient de déclarer solennellement que « le génocide au Rwanda a été commis par les Hutu contre les Tutsi, au nom des Hutu », enclenchant par là-même une campagne largement décriée de pénitence des Hutu envers les Tutsi. À l’ère où les statistiques doivent absolument être prises en compte pour étayer les faits, les Nations Unies et leur Conseil de sécurité seront humblement appelés à répartir objectivement le million de morts entre « les Tutsi, les Hutu et les autres qui étaient opposés au génocide. »


Et si un tribunal décidait ?


En août 2010, les Nations Unies rendaient public le rapport d’une enquête réalisée par leurs experts sur les violations les plus graves des droits humains et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo. Il en ressort que parmi les groupes ciblés par les crimes figurent les Rwandais d’ethnie hutu qui étaient réfugiés au Congo et que les auteurs de ces crimes étaient Rwandais aussi. On y lit ceci : « Au moment des incidents couverts par le présent rapport, la population hutu au Zaïre, y compris les réfugiés venus du Rwanda, constituait un groupe ethnique au sens de la Convention susmentionnée. Plusieurs incidents répertoriés semblent indiquer la possibilité que les multiples attaques visaient les membres du groupe ethnique hutu comme tel, et non pas seulement les criminels responsables du génocide commis en 1994 à l’égard des Tutsi au Rwanda et qu’aucun effort n’avait prétendument été fait par l’AFDL/APR pour distinguer entre les Hutu membres des ex-FAR et les Hutu civils, réfugiés ou pas. »


Le rapport des experts onusiens dresse l’inventaire des crimes graves commis sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003 et conclut que la grande majorité des 617 incidents recensés, s’ils faisaient l’objet d’une enquête et d’un processus judiciaire, constitue des crimes internationaux, qu’il s’agisse de crimes de guerre commis pendant les conflits armés, internes ou internationaux, ou de crimes contre l'humanité. Pour le cas des réfugiés hutu, les enquêteurs passent la balle à l’ONU et au gouvernement de la RDC en ces termes : « La question de savoir si les nombreux actes de violence graves commis à l’encontre des Hutu en 1996 et 1997 constituent des crimes de génocide ne pourra être tranchée que par un tribunal compétent. »


Le « double génocide »


Il est évident que les Rwandais qui s’identifient dans les dénominations et rapports des Nations Unies s’enflamment dans leurs amours-propres, chacun essayant de faire ressortir au maximum le statut victimaire qui semble désormais comporter des bénéfices, tout en minimisant ou en ignorant complètement la souffrance de l’autre. Advenant qu’un tribunal soit mis en place et qu’après jugement les militaires d’APR soient reconnus coupables de génocide contre les Hutu, la thèse du double génocide va se confirmer et, par conséquent, le tableau du génocide être redessiné.


La balle est effectivement dans le camp des Nations Unies qui se réservent le droit de considérer ou ne pas tenir compte de ses rapports, mais tout fin observateur constate déjà les signes géopolitiques de la redistribution des cartes. La géostratégie veut que le Rwanda cède la place à la Tanzanie et à l’Afrique du Sud sur le sol congolais.


En tournée dans la région des Grands Lacs, l’ambassadeur des États-Unis chargé de la politique américaine contre les crimes de guerre et crimes contre l’humanité a plaidé le vendredi 7 février 2014 pour la mise en place d’un tribunal mixte et spécialisé pour la RDC en vue de juger les auteurs des crimes graves commis particulièrement dans l’Est de la RDC. Monsieur Stephen Rapp fut Procureur pour le Tribunal spécial pour la Sierra Léone qui a jugé les criminels sierra-léonais et même étrangers, y compris l’ancien président de Libéria Charles Taylor qui purge présentement sa peine de perpétuité.


Fuite en avant du gouvernement FPR


Le retour des termes Hutu, Tutsi et Twa dans le jargon gouvernemental, spécialement à travers le programme « Ndi Umunyarwanda », la culpabilisation collective et la pénitence aussi forcée que maladroite des hauts responsables hutu, est un signe de déstabilisation au sein de la classe dominante tutsi. Longtemps considérés comme seules victimes du génocide au Rwanda, les Tutsi ont aujourd’hui la difficulté de partager le statut de bourreaux avec les Hutu alors que des rapports reconnaissant ces derniers comme des victimes potentielles des Tutsi commencent à sortir des tiroirs.


L’éventuelle mise en place d’un tribunal international pour la RDC auquel fait allusion le Rapport du Projet Mapping représente une véritable épée de Damoclès qui pend sur la tête du FPR. Faute de volonté d’assumer et de réparer les pots cassés, le gouvernement FPR a compliqué la situation en tripatouillant à plusieurs reprises la Constitution et en y insérant des formulations qui l’arrangent au niveau national. Concernant la dénomination du génocide, la Constitution rwandaise votée par Référendum populaire en juin 2003 dit ceci en préambule : « Nous, le Peuple Rwandais, au lendemain du génocide, planifié et supervisé par des dirigeants indignes et autres auteurs, et qui a décimé plus d'un million de filles et fils du Rwanda… » Aucune mention d’ethnie n’est remarquée dans l’ensemble de la Constitution votée par le peuple.


Deux ans plus tard (2005), le deuxième amendement introduit le terme Tutsi dans plusieurs articles et dans le préambule même de la Constitution :« Au lendemain du génocide perpétré contre les Tutsi, planifié et supervisé par des dirigeants indignes et autres auteurs, et qui a décimé plus d’un million de filles et fils du Rwanda… » La constitution ne mentionne pas qui a perpétré ce génocide contre les Tutsi.


Tout compte fait, le retour des termes ethniques dans le langage populaire courant et le rythme actuel de l’introduction des programmes qui brisent le tabou ethnique sont destinés à préparer l’opinion à un certain changement. Tout semble indiquer que, pour boucler la boucle, le préambule de la prochaine version de notre constitution, sous préparation, comportera « génocide perpétré contre les Tutsi par les Hutu. »


Une question que l’on est seulement en droit de se poser reste « À quand la fin des gouvernances aveugles chez nous ?»


Ismaïl Mbonigaba


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