LA CONSANGUINITÉ POLITIQUE [PROUVÉE] ENTRE LE FPR, LE PSD ET LE PL
Un éclairage sur la collusion qui entrave la reconnaissance de l’opposition
Selon Max Weber, l'acteur [politique] est déclaré rationnel dès lors que ses actions, croyances et attitudes sont perçues par lui de façon plus ou moins consciente comme ayant un sens parce que fondées sur des raisons fortes.Cela suppose que l'acteur politique jouit d'une certaine compétence politique du fait qu'elle procède de la politisation qui est le degré au niveau duquel les citoyens accordent leur attention aux évènements politiques. Et c'est ce que résume Paul Lazarsfeld dans cette magnifique citation qu'« une personne pense politiquement comme elle est socialement ». Aussi, le simple citoyen voit son opinion se forger via la communication interpersonnelle, dans les contacts et les conversations au sein des divers groupes.
Prenant éclairage aux pensées de ces deux philosophes, nous pouvons affirmer que la réussite du processus de démocratisation est largement liée à la qualité de l'environnement politique. Or, un environnement politique non ou peu dynamique, comme celui du Rwanda, n'est pas du tout de nature à stimuler la démocratisation puisque il n'implique pas une possibilité de grande concurrence entre acteurs politiques. À contrario, le marché politique rwandais, qu’on peut qualifier de partisan sinon de fermé, est faiblement concurrentiel.Cela se remarque à la fois au niveau du manque de démarcation des partis politiques minoritaires, notamment le PSD et le PL face au pouvoir dominé pour le parti majoritaire le FPR et, à l’accord tacite qui fait que ces deux partis acceptent de collaborer avec le gouvernement pour leur survie politique et financière. Dès lors, même si le multipartisme est institutionnalisé dans la Loi Fondamentale avec une loi organique remarquable, le jeu politique, lui, est complètement biaisé car il n’encourage pas la diversité politique et rend la perception des enjeux difficile voire impossible.
Concurrence politique biaisée et alternance hypothéquée
Le constat est claire pour tout observateur national ou étranger, malgré les soi-disant projets de société supposément incarnés par les partis PSD et PL, (en principe qui devaient servir de pierre angulaire pour solliciter l'adhésion des citoyens et par conséquent accroitre leurs électorats respectifs), les leaders de ces partis n'ont jamais démontré par leurs prises de position ou agissements politiques une volonté claire d’accéder à la magistrature suprême, ni manifesté l’ambition de devenir majoritaires au Parlement.Leur évolution ou plutôt leur stagnation sur les vingt dernières années le témoigne avec des résultats électoraux qui se situent autour de 10% respectivement et qui n’ont jamais bougé (croissance nulle). De plus, les programmes ou projets que ces partis proposent souvent dans les différentes consultations populaires (élections présidentielles, législatives ou de district) ne sont que des pures copies du FPR ou alors, dans une moindre mesure, du gouvernement; ce qui revient pratiquement au même.
Les relations entre les partis PSD et PL et le FPR sont donc considérées par une grande partie de la population comme étant de consanguinité politique.Cette perception qui n’est pas fausse du tout montre que le seul but de la coalition FPR-PSD-PL n’est que de satisfaire les intérêts des responsables politiques des partis supposés de servir de véritable contrepoids. Et pour preuve, il faut simplement souligner le partage du pouvoir et surtout le monopole des postes de haute responsabilité de l’État entre ces trois partis qui constituent l’ossature du régime actuel.Or, lorsque les partis PSD et PL de loin minoritaires, au lieu de constituer une opposition démocratique reconnue, en acceptant de participer au gouvernement formé par le parti largement majoritaire FPR, - alors qu’ils font de la simple figuration au Parlement -, ils pratiquent une collusion de fait.Et cet arrangement, par ailleurs légal au regard de la loi sur les formations politiques, constitue, d’après nous, une vraie entorse à l’éthique politique et entrave le processus démocratique.
Nous pouvons même aller jusqu’à considérer que les partis PSD et PL ne sont pas de véritables partis politiques puisqu’ils évitent la concurrence en cherchant la protection sous le parapluie du FPR.Sur ce, nous citons Kris Berwouts, analyste indépendant à RFI, qui dit que «Tous ces partis [PSD, PL, PDI, …] ne sont pas des partis d’opposition réelle. Ce sont des partis satellites dont la raison d’être n’est pas de former un contre-pouvoir».Cependant, les mouvements dits d’opposition ont tendance à toujours incriminer le FPR alors que ce sont les partis PSD et PL qui sont les plus dangereux pour eux car ils occupent une place dévolue à une opposition démocratique. Ces partis ne peuvent donc pas se priver des manigances pour contrer une opposition organisée capable d’introduire une nouvelle dynamique dans le jeu politique et risquerait d’effacer les façades de ces partis qui ont choisi de n’être que des vassaux du FPR. Et d'ailleurs, ces partis en participant au gouvernement ont accepté de perdre leur notoriété et leurs bases se sont transvasées dans la formation majoritaire FPR.Ils ne peuvent donc en aucun cas servir d’alternance politique puisqu’ils sont obligés d’être solidaires avec le gouvernement et le parti majoritaire au parlement.
Normalement, selon Braud, la cohabitation gouvernementale [qui se fait] entre formations censées porteuses de projets de sociétés différents souligne l'absence d'alternative réelle au sein du système politique »Au Rwanda, le fait que le gouvernement soit toujours formé en fonction de la représentativité parlementaire, prouve que les partis minoritaires sont incapables d'expliquer, de persuader, de convaincre et de créer une lame de fond dans la société qui permettrait la transformation de ce qui est minoritaire aujourd'hui en majorité de demain et de réussir l'alternance.Spécifiquement, en se ralliant au parti majoritaire FPR, les partis PSD et PL se laissent allégrement phagocyter par le camp qu'ils sont censés évincer normalement dans un marché politique ouvert et transparent.
Dans la même optique, ce jeu d’alliance stratégique préservé par les acteurs politiques des partis FPR, PSD et PL aveugle aussi la volonté populaire en entretenant une confusion générale volontaire.Ainsi, au niveau de la conscience populaire et politique que nous connaissons encore faible, il est difficile de faire la différence entre les partis FPR, PSD et PL. Tellement leur rapprochement saute à l'oeil et donne l'impression aux citoyens que tout se joue exclusivement entre leaders au détriment des bases alors que les intérêts du peuple rwandais sont relégués au second plan.Cette constatation nous rappelle l’interrogation de Laurent Gbagbo (qu’on peut paraphraser et qui s’adapte bien à notre situation) selon laquelle si quelque soit le résultat des élections, les partis [FPR, PSD et PL] gouvernent ensemble, pourquoi dans ces conditions les électeurs vont-ils aux urnes? Et comme corollaire, il n’est pas étonnant de constater que l'adhésion et l'activité politique, dans pratiquement tous les partis politiques, sont davantage poussées par les bénéfices y relatifs.
Le constat est clair pour tout observateur attentif
En réalité, la connivence des partis FPR, PSD et PL remet en cause la logique démocratique selon laquelle : « les prises de positions politiques, décisions ou promesses... sont des manifestations, des stratégies de démarcation par lesquelles chaque concurrent tente de s'imposer, en s'opposant ».
De ce point de vue, l’accord tacite FPR-PSD-PL sur le partage du pouvoir est effectivement une sorte de collusion entre les leaders et, par conséquent, il peut être considéré comme une trahison de la démocratie.De plus, comme aucune tactique traduisant une volonté de s'opposer n'est réellement entretenue ou visible au sein des partis PSD et PL, ceci corrobore leur refus d'être une opposition organisée crédible, porteuse d'idées ou de projet alternatif et capable de constituer l'alternance politique. Elle est plutôt un moyen tactique pour accéder au partage du pouvoir permettant, à ceux qui savent agiter les épouvantails et danser avant la musique, d'attirer sur eux l'attention du chef de file du régime afin d’atteindre facilement le plateau du Gâteau National.
Sur la base de l’observation indépendante, nous pouvons conclure que la connivence entretenue entre les partis PSD, PL et FPR ne profite plus à ce dernier qui a gagné sa crédibilité, sa légitimité et sa légalité au cours de ces vingt dernières années. Au contraire, cette collusion avec des partis atrophiés ternit l’image qu’un parti largement majorité devrait normalement refléter. Sinon, sur le plan de la logique démocratique le FPR a tout gagné à remercier ces valets PSD et PL qui ne sont, en fait, que des parasites politiques et à gouverner comme un parti majoritaire. À la place, le FPR a besoin d’une opposition constructive et responsable devant lui servir de contrepoids, si institutionnalisée, et non de contrepied, si restée dans la clandestinité. Autrement dit, le FPR doit cesser d’être toujours sur la défensive en transformant sa confiance manifeste en assurance stratégique pour la présidentielle de 2017.
Après tout, pour renforcer notre éclairage, revenons à l’article sur le rôle de l’opposition dans la démocratie en disant qu’aucune « véritable démocratie ne peut se concevoir sans une véritable opposition ».
Victor Manege Gakoko (Canada)
Analyste Indépendant