André Sibomana, pardon…ton vœu n’a pas encore été honoré !
Par Françoise Muganashuli
Celui qui est considéré comme le père de la presse libre au Rwanda tombe petit à petit dans les oubliettes. Il avait écrit cinq jours avant sa mort « si cette maladie m'emporte, qu'il en soit demandé compte entre autres à ceux qui m'ont refusé mes droits fondamentaux. » Il est aussi auteur de « …Sur les faits, nous(Kinyamateka) essayons d’être imbattables ».
On se souvient d'André Sibomana lors d’une fête religieuse dans laquelle avaient été conviées les hautes autorités du pays. Ce jour-là, il a aperçu deux véhicules qui portaient une même plaque d’immatriculation. Il s’est chargé immédiatement du protocole et par un signe du bras il a montré aux deux chauffeurs le meilleur endroit pour le parking. Ces derniers sans remarquer leur bêtise, ont obéi et ont garé leur véhicule côte à côte. Le régulateur du trafic improvisé s’est précipite pour prendre son appareil et a photographié les deux véhicules avant de poser la question aux deux conducteurs comment ils payaient l’impôt sous une même immatriculation!
Voici l’homme dont les souvenirs s’amenuisent aujourd’hui16 ans après la mort, personne n’a traduit en justice celui qui lui a refusé en 1998 le droit d’aller se faire soigner d’une maladie qui avait guéri en 1976. Pourtant, il reste le seul journaliste rwandais à avoir reçu le prix du héros de la liberté (à titre posthume en 2000) pour son abnégation et son professionnalisme engagé quand il était rédacteur en chef du plus vieux journal rwandais (Kinyamateka, pour ne pas le nommer) de 1988 à 1997.
André Sibomana est né le 21 juillet 1954, à Masango au centre du Rwanda. Avant, pendant, et après le génocide de 1994, il témoignait contre les exactions sans distinction de criminels en tant que président de l’association des journalistes (ARJ) et de l’association des droits de de la personne et de la liberté publique (ADL). À la mort de Mgr Thaddée Nsengiyumva, l’abbé Sibomana a eu l’honneur d’etre nommé Administrateur apostolique ou évêque intérimaire de Kabgayi.
En mai 1995, il a refusé de divulguer sa source sur la mort des évêques à Gakurazo au centre du pays. Il a commencé une vie de cachecache avec des bourreaux qui voulaient l’éliminer mais sans stopper sa lutte pour la dignité humaine. Le 20 septembre 1995, il échappe à une embuscade.Il démissionnera de son poste de Directeur de Kinyamateka en octobre 1997 et mourra le 09 mars 1998 à Kabgayi après que les services d’émigration et immigration du Rwanda lui aient refusé un passeport pour aller se faire soigner en Europe.
André Sibomana a devancé ainsi son ami Vjeko Curic assassiné, lui, dans la nuit du 31 janvier au 01 février 1998. Curieusement, peu avant leur mort, les deux militants des droits humains avaient demandé en public « qui serait la prochaine cible du régime! » Ce jour-là, on pouvait lire dans leurs quatre yeux des larmes de tristesse comme s’ils connaissaient leur sort, mais on ne le saura qu’après leur mort consécutive ! Requiescant In Pace !
Mort à 44 ans, peu de gens savent qu’il s’agit bien d'André Sibomana qui a sollicité et obtenu que l’uniforme noirâtre des prisonniers rwandais change en vêtements légers et de couleur rose.
Personne ne doutera que la mort physique de l’abbé André Sibomana est quasi synonyme de la mort invisible de la société civile rwandaise tout entière, de l’association rwandaise des journalistes et du journal Kinyamateka.
Ironie du sort : son nom signifie que les projets des hommes ne sont pas ceux de Dieu !