LETTRE OUVERTE À MESSIEURS FAUSTIN TWAGIRAMUNGU ET KAYUMBA NYAMWASA
CE QUE J'EN PENSE
(Chronique de Victor Manege Gakoko, Analyste indépendant, Mémoire institutionnelle)
Monsieur Kagimba (du vrai nom ou du pseudonyme),
Je viens de lire votre lettre ouverte adressée à Messieurs Twagiramungu et Nyamwasa, et permettez-moi de formuler quelques commentaires.
Tout d’abord, je vous remercie d’avoir analysé la situation des partis politiques des Rwandais se disant de l’opposition et d’avoir mis votre considération à la portée de l’opinion publique. On ne peut qu’espérer que votre démarche suscite un débat de fond auprès des intellectuels rwandais sinon soulève au moins un questionnement. Ceci étant, votre lettre comporte plusieurs réflexions qui méritent d’être reprises dans l’ordre afin d’en décortiquer la teneur et le cheminement de votre analyse.
1. Demi-échec subi par Twagiramungu dans la formation de la coalition de l’opposition
Demi-échec ou demi-succès, selon vous, tout comme un verre à moitié vide ou moitié rempli, me semble une expression qui dénote à la fois un certain optimisme qui vous habite et traduit en même temps une certaine déception. Pourtant, si vous aviez bien lu les articles publiés dans le Magazine Rwanda-Géopolitique, vous auriez pu comprendre qu’effectivement un mélange hétéroclite de politiciens ne peut en aucun cas former une coalition politique fiable et viable. Il y a par contre à se demander pourquoi un politicien d’expérience comme Faustin Twagiramungu a tenté l’impossible sachant pertinemment que son initiative allait aboutir à l’échec ou à l’impasse pour adoucir le résultant maigre obtenu. Il y a fort à parier qu’il avait probablement d’autres visées.
Pourtant, les explications qu’il a fournies lui-même lors de son interview accordée à Radio Itahuka, Monsieur Twagiramungu a mis en exergue les divergences et les problèmes d’approche qu’il avait collectés en informel auprès des différentes formations politiques conviées à son action de rassembleur. Le constat est amer, trop amer pour des partis qui se disent briguer la conduite du pays. La raison est avant tout, et nous l’avons aussi souligné dans nos articles, de l’ordre de la mentalité et de la maturité politique des Rwandais. Sur ce point, moi je suis catégorique, je persiste et je signe, les Rwandais doivent d’abord changer de mentalité (de paradigme) dans leur façon de comprendre la vie en général, le pouvoir et la politique en particulier, avant de se relancer dans des actions d’intérêt public et d’envergure nationale.
Cela requiert une conscience sociopolitique profonde voire une révolution socioculturelle en bonne et due forme. Avez-vous remarqué, Monsieur Kagimba, que même le raisonnement de nos soi-disant meilleurs acteurs politiques reste linéaire, se matérialisant par un mode bipolaire dans la vie courante, sociale ou politique et se traduit simplement par positif-négatif, oui-non, ouvert-fermé, pro-anti, et que sais-je encore … alors qu’en principe la vie elle-même offre une multitude de références et de modèles souples et non figés? Difficile chez un Rwandais de lui faire comprendre que le compromis basé sur les concessions mutuelles constitue toujours la meilleure des solutions aux problèmes à caractère politique ou social. Nous avons curieusement observé chez nos politiciens qu’ils se positionnent toujours en “tout ou rien” et quand ça ne passe pas ils se rabattent à la formule lâche d’opportunisme ou de prostitution politique!
2. Problème Hutu – Tutsi versus pouvoir
Si je suis entièrement d’accord avec votre analyse sur la nature et la catégorisation des acteurs politiques rwandais en exil, je comprends très mal comment une si belle critique ramène la compétition politique et démocratique sur un fond ethnique. Sommes-nous vraiment aveugles pour ne pas constater que les jeunes générations se moquent éperdument de ces considérations et qu’on peut compter encore au moins trois générations pour que cette déformation sociologique perde complétement sa trace historique ?
Le débat à mener aujourd’hui doit se focaliser sur les projets de société qui doivent se concevoir eux-mêmes comme des produits politiques alternatifs et s’opérer, éventuellement, dans une alternance démocratique pacifique. C’est ce message que devrait véhiculer tous les partis politiques ou tous les politiciens à des fins pédagogiques pour promouvoir et consolider le processus de démocratisation du Rwanda, surtout dans un contexte historique traumatisant post-génocide. Combattre bien ouvertement et sans concession aucune les extrémistes, de surcroît minoritaires, qui se réclament des irréductibles "purs sangs Hutu ou Tutsi" et utilisent cette falsification historique à des fins purement politiciennes de prise et de confiscation du pouvoir, en voilà une autre mission patriotique pour les leaders de demain.
3. But de la coalition politique envisagée par les politiciens de l’opposition
Sur ce point, je ne retiens pas mon étonnement et ma désapprobation totale. Je me pose vraiment la question si ces politiciens savent de quoi ils parlent. Il ne peut y avoir de coalition si ce n’est dans un cadre purement stratégique qui repose sur un enjeu majeur visant la conquête du pouvoir par les élections démocratiques. Et cela suppose au préalable que les partis politiques qui veulent forment la coalition aient une vision commune, une plateforme commune et un programme politique commun de gouvernement. Il est vraiment ridicule, suivant la logique stratégique ou tactique, que les mouvements politiques des Rwandais en exil prétendent se coaliser pour exercer une pression sur le Président Kagame afin qu’il accepte de concéder une ouverture politique. On dirait que je rêve aussi quand j’entends souvent qu’on y mêle la communauté internationale. Dites-moi, Monsieur Kagimba, juste une question : dans quelle démocratie du monde avez-vous constaté qu’un régime élu majoritairement concède aux conditions des partis dits d’opposition en exil sans aucune crédibilité, aucune légitimité et aucune légalité ? C’est de la pure aberration qui dénote encore une fois une lecture erronée des principes politiques et démocratiques.
Quant à la communauté internationale, ça m’étonnerait qu’elle appuie des formations politiques qui n’osent pas prendre le risque d’aller au pays mener une compétition légale par la voie des urnes. Si celles-ci contestent le cadre légal (constitution, loi sur les formations politiques, commission nationale des élections ou autres présumées pratiques antidémocratiques) pourquoi elles ne le disent pas explicitement prenant du moins à témoin l’opinion publique nationale et internationale ? C’est vraiment bouleversant que les Rwandais veulent toujours réinventer la roue au lieu de prendre la technologie qui a déjà fait ses preuves, l’ajuster aux conditions locales et directement produire.
Dans le processus de démocratisation des États Africains, les pays de l’Afrique de l’Ouest tels que le Sénégal, le Bénin, la Côté d’Ivoire, la Guinée Conakry, le Niger, le Mali pour ne citer que ceux-là, constituent un cas d’école idéal pour s’en inspirer au lieu de formuler des revendications politiques dénouées de tout sens par “télécommande”. Dans ces pays, le combat politique et démocratique s’opère avant tout sur le plan légal et met en compétition les meilleures compétences en matière de droit constitutionnel.
4. Vos leaders politiques préférés de l’opposition
En commençant par Monsieur Faustin Twagiramungu que je connais bien, je ne fais que confirmer toutes les qualités que vous avez recensées chez cet homme exceptionnel. Même les défauts que vous préférez évoquer évasivement qu’il possède comme chez tout humain me semblent coller à son profil. Cependant, mon ami Faustin a oublié une chose : la mentalité rwandaise qui fonctionne sur le calcul des intérêts cachés, sur le mensonge culturel, sur la peur et sur la trahison. Et pour ça, il ne peut pas prétendre être un bon stratège bien qu'il soit un bon politicien et un homme intègre.
De plus, Monsieur Twagiramungu est souvent accusé par ses détracteurs de dissimuler les informations politiques (pour ses raisons personnelles) qui devraient pourtant le dédouaner et en faire un leader de référence. Nous détenons des informations fiables que certains membres du gouvernement dirigé par le MDR, dont il était président dans les années 90, ont compromis les institutions de la République en menant des pourparlers parallèles dans leurs propres intérêts lors des négociations d’Arusha. Sans la mouvance Power du MDR qui est sorti de ces manigances, la République ne serait probablement pas tombée si bas avec une tâche indélébile de génocide commis contre les Tutsi et des crimes contre l’Humanité.
Devant l’histoire, mon ami Faustin devrait, en tant qu'acteur politique actif des années 90, faire une analyse rétrospective afin d'éclairer les Rwandais sur les raisons réelles de l’échec de mise en application des Accords d’Arusha. De plus, il devrait expliquer comment il y a eu dysfonctionnement total des institutions après l’assassinat du Chef de l’État, le Président Juvénal Habyarimana, et ceci dans le but d'enseigner comment garantir la stabilité des institutions de la République et la continuité de l'État en cas de crash politique. En tant que doyen d’honneur des politiciens démocrates rwandais, Monsieur Twagiramungu devrait également privilégier la politique pédagogique de compromis démocratique plutôt que de brandir la logique d’affrontement, de chantage et de compromission volontaire. Il a donc, selon moi, la mission historique de former et accompagner les politiciens de la jeune génération à la lucidité, au pragmatisme politique et à la responsabilité citoyenne. Et rien que pour cette action patriotique, la République devrait lui rendre en compensation toute sa reconnaissance et les honneurs qui lui reviennent de droit.
Pour Monsieur Faustin Nyamwasa, je n’en dirais pas autant que son homonyme précédent. Sa carrière militaire le place dans un autre cadre qui se marie difficilement avec le cadre de la haute politique. Ce général, ancien compagnon de lutte et proche de l’actuel président Kagame, a été sanctionné administrativement pour insubordination et a préféré se constituer dissident du FPR. Jusqu’à maintenant, l’opinion publique n’a pas assez d’éléments pour pouvoir apprécier en Nyamwasa l’homme politique.
Cependant, moi en tant qu’analyste indépendant, je peux disqualifier le général sur deux points. Lors de sa campagne contre l’infiltration des ex-FAR (abacengezi), cet officier a semé la terreur et le désarroi dans les populations civiles des anciennes préfectures de Gisenyi et Ruhengeri. Or, dans toutes les guerres modernes, la protection des civils est un devoir pour tout officiel digne de ce nom (convention de Genève). Cette opération s’étant menée alors que le FPR était au pouvoir, l’ancien chef d’état-major s’est conduit en ce temps-là comme un rebelle sauvage. En effet, lors d’une interview qu’il accordée aux télévisions du monde entier, le général Nyamwasa a souligné tout fièrement qu’il a appris à ses hommes de tuer jusqu’au dernier et que le rôle d’un militaire n’était pas de constituer des prisonniers de guerre.
Les crimes de guerre que Monsieur Nyamwasa a commis volontairement dans les anciennes préfectures de Gisenyi et Ruhengeri le poursuivront moralement et juridiquement à jamais même s’il pourrait évoquer la raison d’État. Un autre point qu’on n’évoque pas souvent mais qui est pourtant fondamental dans les valeurs républicaines est que Monsieur Nyamwasa n’a jamais reconnu l’autorité du chef de l’État, confondant la personne à la fonction comme en témoignent ses déclarations périodiques en exil. Cette fausse considération semble malheureusement être commune à presque la totalité des différentes oppositions.
Moi, en tant républicain- démocrate, je ne peux en aucune façon comparer les deux Faustin, ni prétendre que Monsieur Nyamwasa, dont le passé et le présent sont flous et dont le futur reste hypotétique, pourrait compléter ou servir de partenaire politique crédible de Monsieur Twagiramungu aux yeux des Rwandais et de la communauté internationale.
Pour conclure
Les politiciens populistes rwandais en exil s’arrogent le droit de parler au nom du peuple alors qu’en démocratie, la légitimité provient des urnes. Si, est c’est mon conseil, les partis minoritaires ou en formation trouvent que leurs droits sont bafoués, il leur appartient de mener une lutte politique conséquente au lieu de continuer à quémander l’intervention de la communauté internationale.
Ce n’est hélas ni la main invisible de Dieu ni l’alignement des astres qui vont organiser la vie politique au Rwanda, ou apprendre à ladite opposition comment s’organiser et se prendre en mains. Enfin, il y a des jeunes partis politiques en formation qui commencent à comprendre ce que c’est le jeu politique et qui sont sur la voie d’apporter la différence. Ne les sous-estimons pas, encourageons-les et attendons les voir à pied d’œuvre lors de la présidentielle de 2017 qui est un enjeu politique majeur en vue.