TEMPS DE JOINDRE LES ACTES À LA PAROLE ?
La 11ème Retraite des hauts cadres de l’État met en évidence de graves lacunes
Par Victor Manege Gakoko
Du 8 au 10 Mars 2014 s’est tenue à Gabiro (Province de l’Est), sous le thème de la performance de la gouvernance responsable, la traditionnelle retraite des Big Boss des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) de la IVème République à laquelle étaient conviés les dirigeants du secteur privé et de la société civile, une sorte de mixage rituel de Te deum et de Requiem, ponctuée par des sueurs froides.
Avant que je ne fasse une brève macroanalyse, je retiens tout d’abord ce mot d’ouverture que le chef de l’État a adressé à l’auditoire : "Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre notre sens de l'urgence en raison d'où nous venons et où nous voulons [aller] être. Nous devons nous rappeler que nous travaillons pour les citoyens du Rwanda, pas pour notre intérêt personnel. Nous devons faire plus, [mieux] et nous devons le faire rapidement ". (La Nouvelle Relève)
Sincèrement, en écoutant ce discours, j’ai sursauté me rappelant qu’à peu près dans ces termes, feu président Juvénal Habyalimana avait adressé un message similaire aux cadres de l’administration centrale lors d’une des réunions de concertation tenue en 1983 au stade de Nyamirambo. Et comme le 8 mars (date choisie pour célébrer également la Journée internationale de la femme et de la [maternité]) coïncide avec l’anniversaire de la naissance de cet illustre homme d’État assassiné qui avait pris comme ancrage de son régime « Paix et Unité Nationale » et qui s’était particulièrement distingué par sa « Politique de bon voisinage », je ne fais que formuler un vœu de le voir bientôt réhabilité au nom de la réconciliation nationale, de la continuité de l’État et du respect des institutions de la République. Le président Habyarimana avait fait pareil pour son prédécesseur feu président Grégoire Kayibanda par une décision hautement politique qu’il avait prise en rebaptisant l’aéroport de Kanombe par le nom du père incontesté de la République du Rwanda.
Ceci dit en passant, l’histoire récente de la deuxième guerre mondiale nous rappelle que même en France (la 5ème grande puissance mondiale), le maréchal Pétain avait été réhabilité quelques années plus tard au vu des circonstances et du contexte entourant sa décision de capituler face l’Allemagne nazie…
La transparence au rendez-vous
En matière de [bonne] gouvernance, la retraite des hauts cadres de l’État en compagnie avec le chef de l’État en personne constitue effectivement la Norme des normes car il crée un cadre idéal de concertation, d’évaluation et de suivi de l’action gouvernementale dans sa globalité. De plus, cette méthode pédagogique s’inscrit dans la logique de la transparence et se veut être un exercice pour renforcer la cohérence de la politique du gouvernement en même temps qu’elle permet de renforcer les institutions de l’État.
Ici je voudrais attirer l’attention de tous ceux qui veulent s’aventurer ou pataugent déjà en politique, qu’ils doivent d’abord apprendre et comprendre comment les organes de l’État fonctionnent avant de confondre les personnes avec les fonctions qu’elles exercent. Car définir les politiques sectorielles est une chose, élaborer des stratégies en est une autre, arrêter les programmes et les projets cohérents y relatifs est aussi une paire de manche alors que les mettre en œuvre constitue un casse-tête opérationnel. Et le plus difficile dans tout cet exercice de macro-gestion reste le choix des priorités et la mobilisation des ressources nécessaires (humaines, financières et logistiques) pour mener à bien les différentes actions planifiées. Alors qu’on peut dans certaines circonstances devenir ministre par manigances, parfois par accident ou même exceptionnellement premier ministre par défaut, la fonction de chef d’État, elle, demande des qualités exceptionnelles dont la vision, des aptitudes managériales, un équilibre de fermeté et de souplesse, mais surtout un sens aigu du devoir commun et de l’intérêt général. Seul le chef d’État répond de son action devant l’histoire et il doit toujours être prêt à assumer les conséquences de ses décisions alors que les ministres et autres responsables ne sont que des occasionnels et, nous l’avons constaté à plusieurs reprises, certains après avoir brillé par leur incompétence ou avoir foutu le bordel n’hésitent pas à foutre le camp en devenant des propagandistes assoiffés de pouvoir ou des agitateurs sociaux en exil.
Que retenir de la 11ème retraite?
D’emblée, parmi les points essentiels, on retiendra que le président Kagame, sur la base du rapport de l’action gouvernementale présenté par le premier ministre Pierre-Damien Habumuremyi, a émis une critique très sévère et une mise en garde en l’encontre des fonctionnaires qui falsifient les rapports et inventent des prétextes pour justifier la lenteur ou la non-exécution des résolutions du gouvernement. En effet, le premier ministre rwandais a pointé du doigt les agissements systématiques de certains hauts cadres qui entravent la mise en œuvre des programmes du gouvernement et, comme exemples, il a cité les projets d’infrastructures tels que la construction de centrales hydroélectriques, les routes et voiries urbaines de Kigali, l’hôpital de Bushenge dont l’exécution a dépassé largement le calendrier prévu (NDLR-et par conséquent, entrainant le dépassement des budgets, cela va de soi).
Un autre point vraiment impressionnant de cette 11ème retraite est l’attitude responsable et courageuse de l’actuel premier ministre qui tranche nettement avec la passiveté notoire de son prédécesseur, qui a osé reconnaitre publiquement que les instances de son administration brillent par le manque de complémentarité, la pratique de privilégier les intérêts des particuliers avant ceux de l’État et la non-prise en compte des doléances de la population. Au cours de cette retraite, dont les délibérations ont duré trois jours, le chef de l’État a informé la Nation que la prévision de la croissance économique qui était de 11,5% (envisagée lors la précédente retraite) ne sera pas tenue et que toutes les mesures devraient être prises pour éviter la récession. Le président Kagame s’est en outre vivement pris aux dirigeants qui ne respectent pas leurs engagements et a édicté que dorénavant l’exécution de toute recommandation sera évaluée par des indicateurs de performance clairement quantifiables.
Notons, selon la Nouvelle Révèle, que ce genre de retraite permet des améliorations notables en matière de planification stratégique et opérationnelle des projets, de suivi et d’évaluation. Suivant le communiqué final, la 11ème retraite des hauts cadres de l’État a adopté quarante-trois recommandations dont le projet d’accroissement de la performance et la qualité de services des institutions publiques, point sur lequel le chef de l’État insiste souvent. Le site web du gouvernement de la République du Rwanda en donne des pressions plus étoffées.
Note finale et suggestions
Il va sans dire que cette méthode de tenir une retraite annuelle des hauts cadres de l’État rwandais représente la meilleure pratique en matière de bonne gouvernance mais aussi elle constitue le meilleur apprentissage pour les nouveaux cadres à l’exercice de méta-communication d’état. Elle doit donc demeurer une pratique normative pour pérenniser la bonne gouvernance.
On peut nuancer cependant en disant que ces retraites ne devraient pas remplacer le travail de définition des politiques et des stratégies sectorielles qui devrait revenir aux experts (nationaux et non étrangers comme c’est le cas aujourd’hui) des départements ministériels. Mais aussi, sur le plan institutionnel, il y a lieu de se demander le rôle réel que jouent le premier ministre et les services de la primature dans un régime présidentiel aussi fort que celui de la IIème République ou de la IVème République où la Présidence dispose une duplication des mêmes services, par ailleurs, plus outillés qui centralisent in fine tous les grands dossiers. Il me semble qu’il y a une redondance de fonctions qui ne s’explique pas alors que nous ne sommes pas dans un régime parlementaire qui impose que le chef du gouvernement soit issu du parti majoritaire ou de la coalition majoritaire.
D’un autre côté, s’il est louable qu’une évaluation de la politique intérieure soit revue et ajustée périodiquement mais qu’en est-il donc de la politique extérieure lamentable, particulièrement le volet des affaires étrangères, qui constitue le talon d’Achille de la diplomatie rwandaise? Une réforme en profondeur dans ce domaine s’avère nécessaire et urgente afin de mettre à niveau la diplomatie rwandaise pour qu’elle soit performante et plus compétitive, bref une diplomatie moins crispée et moins frileuse. Il est donc impératif de réhabiliter la diplomatie durable de bon voisinage et de coopération bilatérale-multilatérale plus porteuse plutôt que de perpétrer mordicus la politique de confrontation qui s’est révélée aussi stérile que contre-productrice et dans laquelle excelle visiblement l’actuelle ministre Louise Mushikiwabo.
Plus spécialement, les cadres de ce département, notamment les ambassadeurs devraient être de vrais diplomates de carrière et des cadres de grande expérience. Il y va de la réputation et de la visibilité du Rwanda et des Rwandais. Aussi, le département chargé de la diaspora devrait être élevé au niveau du secrétariat d’état avec une mission complémentaire de faciliter la réconciliation des Rwandais vivant à l’étranger à travers des représentants spécifiques accrédités auprès des grandes missions diplomatiques existantes. La formule actuelle de la diaspora profite seulement à certains groupes au sein desquels se cachent des radicaux et des extrémistes qui prennent souvent insidieusement en otage les ambassades de la République. Ça c’est un fait connu et c’est inacceptable, car la Loi Fondamentale garantit les mêmes droits et le même traitement à tous les Rwandais et Rwandaises, sans aucune discrimination.
Un autre point qu’il est utile de soulever est bien-sûr la corruption déguisée, systématique et systémique. Il est vrai qu’il est difficile de l’appréhender dans les pays en voie de développement en général et au Rwanda en particulier. Mais il est connu aussi que le gouvernement rwandais déploie beaucoup de moyens pour éradiquer ce fléau, sauf que cette pratique se métamorphose vite comme dans un combat de virus et anti-virus. Il faudrait donc que le gouvernement prenne l’initiative de commanditer un audit externe opérationnel qui lui permettrait d’avoir l’heure juste sur le niveau (réel et non relatif) de corruption national et analyser les causes et les solutions plus appropriées au lieu de se fier uniquement aux rapports des services internes qui, parfois, sont de mèche avec les institutions ou départements visés.
Sur le plan de l’équité et la justice sociale, les cadres moyens, les subalternes et les auxiliaires, dont font partie notamment les institutrices et les instituteurs, se plaignent avec raison de leur rémunération qui est loin d’être proportionnelle au produit de leurs efforts et de leur travail alors que les hauts cadres, à l’image de ceux qui étaient conviés à la 11ème retraite, perçoivent des salaires et autres avantages prohibitifs par rapport au PIB. De deux choses l’une, ou le gouvernement devrait faire un nivellement des salaires vers le haut pour les catégories lésées ou alors appliquer la politique d’austérité sur l’ensemble des catégories salariales avec un effort supplémentaire en supprimant carrément les avantages de luxe accordés aux hauts cadres, et ce en signe de solidarité avec les populations les plus démunies.
(Victor Manege Gakoko est un analyste indépendant, Mémoire institutionnelle)