JOURNÉE MONDIALE DU REIN : VIVRE, SURVIVRE, REVIVRE
Par Victor Manege Gakoko
Dans le but de sensibiliser le public aux maladies rénales, depuis le 13 mars 2006, l’International Society of Nephrology (ISN) et l’International Federation of Kidney Foundations (IFKF) célèbre annuellement la Journée Mondiale du Rein. Cet événement est la plus importante mobilisation publique mondiale face à la recrudescence des maladies rénales, et particulièrement des maladies rénales chroniques.
Aujourd’hui plus que jamais, les maladies rénales sont un enjeu majeur de santé publique mondiale. Mais il n’existe actuellement que peu d’efforts de sensibilisation sur ce fléau. En effet, l’importance des pathologies rénales semble sous-estimée car la dégradation de la fonction rénale est généralement progressive et silencieuse. Alors que les traitements sont peu nombreux, l’évolution lente de la maladie débouchant en phase terminale nécessite le recours à la dialyse (technique médicale permettant de supplanter les reins en cas d'insuffisance rénale très avancée) ou la greffe du rein.
En 2013, la huitième édition de la Journée Mondiale du Rein qui avait comme thème central: "Stop aux agressions rénales" a été encore plus fertile en évènements de vulgarisation médicale que les précédentes. À travers le monde, cette journée a attiré l'attention du public sur les maladies rénales consécutives à une agression infectieuse, toxique, ou médicamenteuse.
D'innombrables organismes en partenariat avec les pouvoirs publics ont réalisé plus de 600 événements dans 112 pays différents et sur les 6 continents. Des campagnes d'affichage, conférences, émissions TV et radio, manifestations à caractère sportif ou culturel ont prôné la prévention des agressions rénales.
Dans la foulée, dans un extraordinaire élan de solidarité internationale pour la prévention et le traitement des maladies rénales, le Congrès Américain et le Parlement Européen, les gouvernements de la France, du Royaume-Uni, de la Pologne, de la Suisse, des États-Unis, du Brésil, du Salvador, des Bahamas, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de la Tanzanie, de la Malaisie, de l'Inde et du Sri Lanka se sont engagés activement comme chaque année.
Dans chacun de ces pays, aux côtés des Fondations, se sont mobilisés aussi les équipes de néphrologues et les associations de patients, les universités et hôpitaux, les organismes de santé, les laboratoires pharmaceutiques, les sociétés industrielles, les médias ou plus encore les artistes et les sportifs.
En mars 2014, la neuvième édition de la Journée Mondiale du Rein s'est intéressée aux maladies rénales chroniques et au vieillissement. Avec sa campagne intitulée « Kidneys age, just like you » (Les reins vieillissent, tout comme vous), la Journée Mondiale du Rein a sensibilisé le public sur l'importance des reins et l'impact de la maladie rénale et de ses problèmes associés à la santé globale. Au cours de cette journée, l’IFKF a encouragé la discussion, la formation et l'élaboration de politiques nationales afin d'améliorer la prévention et le traitement dans le monde entier. Les organisateurs ont en outre souligné le rôle important des autorités sanitaires nationales dans la lutte contre l'épidémie de la maladie rénale chronique. Ils ont également rappelé les autorités sanitaires du monde entier qu’elles devront faire face à des coûts élevés et à l'escalade si aucune mesure n'est prise pour traiter le nombre croissant de personnes atteintes de maladie rénale chronique. Enfin, la campagne a lancé aussi une initiative sur Twitter qui conseille de «Commencer la journée en buvant un verre d'eau».
Il est à noter qu’un adulte sur dix souffre d'une certaine affection rénale, soit plus de 600 millions de personnes dans le monde. Malgré ce chiffre impressionnant, les maladies des reins souffrent d'une étrange méconnaissance de la part du grand public. Dénuées de symptômes, ces pathologies ne sont généralement identifiées que tardivement et, trop souvent, les patients mais également, parfois, les médecins généralistes peuvent passer à côté du bon diagnostic. Aussi la découverte soudaine et trop tardive de l’insuffisance rénale représente chez une personne malade un de ces chocs physiques et psychologiques les plus traumatisants de la vie. De plus, apprendre la maladie rénale d’un proche est difficile à supporter, surtout quand on sait que cette affection est incurable et entraîne beaucoup de désagréments involontaires. Et ce qu’on ignore encore, c’est que dans la vie de couple, plusieurs personnes atteintes de l’insuffisance rénale sont abandonnées par leurs conjoints. Dans les pays développés, un tiers des cas d’insuffisance rénale n’est pas diagnostiqué à temps, et n’est médicalement connu qu'au stade terminal, au moment même où la dialyse s'impose d'urgence. Dans les pays en développement, des millions de personnes atteintes de la maladie rénale bataillent en raison d'un diagnostic tardif.
Et chaque année des millions de personnes meurent prématurément d'insuffisance rénale chronique et/ou des complications cardiovasculaires qui lui sont associées. Or, depuis plusieurs années, la détérioration de la fonction rénale, le plus souvent insidieuse, peut être ralentie ou même enrayée, si elle est détectée tôt et gérée de façon appropriée. En effet, diagnostiquées à temps, les maladies rénales chroniques peuvent être traitées par des médicaments et des règles hygiéno-diététiques simples. Par conséquent, ces mesures préventives ou curatives peuvent réduire considérablement d'autres complications et le fardeau croissant de décès et d'invalidité des maladies rénales et cardiovasculaires chroniques dans le monde.
Il existe différents types de cette pathologie, mais le plus commun est la maladie rénale chronique (IRC) qui augmente chaque année à un taux de 8% et elle devrait augmenter de 17% au cours de la prochaine décennie Cette maladie appelée aussi « le tueur silencieux » attaque souvent sans symptôme les reins, et elle se développe lentement et progressivement sur une période de temps. En général, la maladie du rein passe par plusieurs étapes, avec la dernière étape appelée phase d’insuffisance rénale terminale (IRT). L’IRT se caractérise donc par un rein malade, incapable d’effectuer les fonctions de filtration et d’élimination des déchets du sang de l’organisme. Cette phase s’accompagne de déséquilibres très sévères en eau et en minéraux dans l’organisme, conduisant fatalement à la mort certaine en cas de non traitement médical spécialisé.
Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le vieillissement de la population et les taux croissants de diabète et l'hypertension sont à l'origine de l'augmentation de l'IRT dont les thérapies possibles restent lourdes, contraignantes et très onéreuses. Bien que l'insuffisance rénale chronique (IRT) ne soit pas actuellement identifiée comme une cible principale de l’OMS pour le contrôle des maladies non transmissibles (MNT), il existe des statistiques convaincantes que les maladies rénales chroniques (IRC) sont non seulement communes, nocives et pouvant être traitées, mais aussi constituent des facteurs majeurs contribuant à l’incidence et aux conséquences d’au moins trois des maladies ciblées par l’OMS (le diabète, l’hypertension artérielle et les maladies cardiovasculaires (MCV)).
Des preuves médicales ont démontré qu’il existe une certaine corrélation entre l’IRC, le diabète, l’hypertension et les MCV, et inversement, le diabète, l’hypertension artérielle et les MCV (tel que l'obésité et le tabagisme) sont toutes des causes majeures d’IRC. Ainsi, toutes ces maladies constituent des problèmes médicaux étroitement liés qui coexistent souvent, partagent des facteurs de risque et des traitements communs, et qui doivent bénéficier d’une approche globale de prévention et de contrôle médical coordonné.
Pour lutter efficacement contre cette une épidémie mondiale, à l'initiative de patients et de professionnels de santé, de nombreuses fondations dédiées à la lutte contre les maladies rénales ont été créées dans le monde. Chaque fondation développe dans son pays des programmes de dépistage, de prévention, de développement de nouvelles thérapeutiques, d'aide aux malades et d'encouragement à la recherche. Depuis 1999, la Fédération Internationale des Fondations du Rein (International Federation of Kidney Foundations - IFKF) a pour objet de coordonner les actions des 52 fondations réparties dans 37 pays. En Afrique, l’IRC connait désormais une mobilisation accrue de la société pour susciter un engagement politique sanitaire de premier plan de la part des gouvernements en matière de prise en charge des insuffisants rénaux.
Au Rwanda, faute d’une étude épidémiologique et de système d’information adéquat, l’insuffisance rénale chronique est peu connue et, de ce fait, elle n’est pas du tout traitée ou traitée adéquatement. Bien les progrès réels soient enregistrés dans le secteur de la santé au Rwanda, tomber malade reste quand même un véritable fardeau pour tous, mais surtout pour les populations les plus démunies. Le programme socialement apprécié de couverture nationale d’assurance maladie et qui est aussi une référence en Afrique a montré ses limites. Car, le coût de la santé reste très cher pour les pauvres, surtout pour les maladies dites chroniques, celles-là qui nécessitent de longs traitements durant toute la vie. Pour l’insuffisance rénale, elle, on peut carrément affirmer qu’elle fabrique des morts sinon des pauvres.
Il est donc fortement recommandé au gouvernement rwandais de commanditer au préalable une enquête épidémiologique pour évaluer l’ampleur de l’IRC au Rwanda. La réalisation de cette étude constituera un progrès significatif dans la néphrologie de la médecine rwandaise et son avenir. Car elle permettra d’avoir une image plus précise de l’état actuel de cette pathologie et de suivre son évolution. Les conclusions contribueront ainsi à l’élaboration d’une stratégie spécifique visant à la formation des néphrologues et du personnel auxiliaire, l’amélioration de la prise en charge des malades et la promotion de la prévention de l’IRC.
Aujourd’hui, même les riches arrivent, à peine, à se payer un suivi médical adéquat. Aussi, pour baisser le coût de la santé, l’État devrait accorder au secteur médical privé les subventions comme dans le secteur de l’éducation. En effet, le secteur médical privé contribue à renforcer le service public même si il est de droit privé, car il œuvre dans un domaine prioritaire à caractère social. Le traitement de l’insuffisance rénale terminale a commencé en 2005 avec l’installation à Kigali et à Butare de quelques appareils d’hémodialyse récupérés au Canada.
Il s’est donc développé sans planification ni coordination des autorités sanitaires, ayant pour seule sollicitation la pression croissante des patients qui étaient obligés de s’exiler faute de trouver de traitement local. Cependant, il faut aussi reconnaitre cette triste réalité que les personnes démunies et atteintes de l’IRC sont laissées pour compte et décèdent tout simplement en phase terminale.
On peut quand même dire que cette première expérience a permis au personnel médical et à la collectivité de prendre un peu conscience de l’IRC, des problèmes liés au traitement de dialyse et à son coût. Parmi les problèmes majeurs recensés, il y a lieu de citer que l’insuffisance d’infrastructures, le manque de personnel médicalement et techniquement formé, l’approvisionnement des produits de dialyse ainsi que la maintenance des appareils.
C’est pourquoi un vibrant appel est lancé au gouvernement rwandais, aux acteurs politiques, économiques et sociaux, aux organismes internationaux, aux chancelleries ainsi qu’à toute personne de bonne volonté par la création d’un centre national de dialyse et de néphrologie de référence et d’envergure nationale. Le centre national de dialyse et de néphrologie doit se fixer la mission de coordonner, dans une approche globale stratégique, toutes les actions liées à la sensibilisation du grand public rwandais, la prévention précoce des maladies rénales et la promotion des différents traitements de suppléance rénale.
Il va sans dire que la première responsabilité de concevoir une meilleure architecture du processus de décision médicale dédié à la pathologie de l’insuffisance rénale chronique et à ses traitements incombe bien-sûr aux pouvoirs publics, en l’occurrence les services de la santé et des affaires sociales. Toutefois, la solution à ce fléau - désormais reconnu comme problème de santé publique mondiale - pourrait être envisagée avec le concours des donateurs internationaux dans le cadre d’un mixage d’actions humanitaires concertées.
[L'auteur de l'article, Victor Manege Gakoko, est atteint de la maladie rénale depuis 1984]