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RWANDA : LE DOUTE ET LE DENI

Par Jean-Claude Mulindahabi

Quand on n’est pas sûr de quelque chose, quand on a du mal à croire en quelqu’un, quand on est dans l’incompréhension ou quand on a peur, on doute. L’homme a ses qualités, ses valeurs mais aussi des vices et des faiblesses. Ignorer ou renier une évidence que l’on perçoit soi-même dans son for intérieur et que les autres reconnaissent même sans le dire, c’est un déni et une faiblesse humaine qui ne fait pas grandir sa personne. Les arrestations de ces derniers jours, nous renvoient une image qui n’a pas été évoquée ou peu. Le climat qui règne depuis plusieurs mois, voire même plusieurs années entre l’opposition rwandaise en exil et le régime en place ne peut que faire douter le peuple. Le refus de faire une lecture sincère de certaines pages du « livre-histoire » du pays est un déni monumental quand on prétend construire un avenir meilleur (et un avenir du « never again »). La construction des « merveilles » impressionnant l’œil, ne suffiront pas sans avoir guéri les esprits. L’heure de retour à la raison n’a-t-elle donc pas sonné depuis longtemps, sans qu’on y prête suffisamment attention?


Pour le moment, il convient de laisser et de respecter les instances judiciaires compétentes pour qu’elles fassent leur travail, et au tribunal de faire la lumière. Plutôt que de polémiquer sur la véracité ou pas des charges mises sur le dos des suspects ou la réalité autour des aveux, pourquoi ne pas analyser et tirer de bonnes leçons sur la situation dans laquelle cet événement s’est produit. Il n’y a pas que Kizito Mihigo dans cette affaire. C’est vrai qu’il est le plus célèbre comme on va le voir mais aussi il y a Cassien Ntamuhanga le journaliste, Jean-Paul Dukuzemungu l’ancien soldat de l’APR, et bien d’autres, pas seulement dans la capitale mais aussi en province. Les charges sont lourdes et plus que graves, parmi lesquelles, l’atteinte à la sûreté de l’Etat et à la personne du Chef de l’Etat. Rien ne pourrait justifier ni excuser ce qui vise l’effusion du sang.


Sans entrer dans une controverse autour de ces arrestations, il convient de se poser de bonnes questions et que chacun y réponde sereinement et avec sagesse. Dans les médias nationaux et internationaux, les voix divergent même après les aveux de certains suspects dans cette affaire. Pour prouver la culpabilité, la police amène, Kizito Mihigo, le célèbre artiste chanteur compositeur en menottes, pour avouer devant les micros du monde entier alors que le procès n’a pas encore débuté! Les juristes disent que cette procédure est hors la loi. Le ministre Protais Mitali enfonce le clou, en indiquant qu’il faut désormais le considérer comme « un criminel », alors qu’il n’a pas encore été jugé. Le suspect est condamné par un membre du « pouvoir exécutif » avant le procès ! Même le paysan qui n’a pas fait le Droit, doute de la crédibilité des propos de celui qui, en quelque sorte représente le gouvernement.


Avant d’être arrêté, Kizito Mihigo était devenu célèbre et très estimé grâce aux œuvres de sa fondation KMP (Kizito Mihigo for Peace), dans les activités de réconciliation effectuées surtout dans les prisons, dans les écoles et à travers ses chansons mélodieuses ayant comme fond, les messages d’amour, de paix, de pardon, d’unité et de réconciliation. Son action et ses chansons avaient touché tout le pays.


Si ses aveux sont sincères ou si les faits qui lui sont reprochés étaient avérés, il faudrait aussi qu’on sache pourquoi « l’enfant de chœur » et quelqu’un d’exemplaire aux yeux de ses concitoyens, puisse basculer de cette manière. Mais d’autre part, malgré ses aveux, d’autres observateurs pensent qu’il s’agit d’une affaire montée de toute pièce. Ceux-ci ajoutent que réellement, Kizito Mihigo est victime de sa récente chanson « igisobanuro cy’urupfu » dans laquelle, il dit qu’il convient d’honorer et de commémorer aussi bien les victimes du génocide des tutsi que celles des crimes de guerre et crimes contre l’humanité sans oublier d’ailleurs d’autres morts quelle qu’en soit la cause.


En plus dans la même chanson, il ajoute que le programme du gouvernement appelé « Ndi Umunyarwanda » devrait d’abord mettre en avant les valeurs humaines. Deux positions, qui, selon certains observateurs, agacent le régime en place puisqu’elles le prennent en contre-pied. Dans un sens ou dans un autre y a-t-il quelqu’un qui ne se soit pas questionné sur ces arrestations, sur ce qui a été fait et ce qui a été dit ?


Parlant des charges, le suspect fait allusion à une éventuelle guerre dont lui aurait parlé un membre de RNC (Rwanda National Congress), un parti d’opposition au régime de Kigali. S’agit-il du chantage ou fantôme de guerre sans conséquence, ou faut-il prendre les choses au sérieux ? Qui n’aurait pas peur de revoir un pays en guerre et surtout une guerre fratricide. Que faire pour l’éviter? Quelle est la réalité ? Est-il sage de se dire qu’on maîtrise tout, que tout va bien, qu’il n’y a rien à craindre ? On ne risque pas de s’enfoncer dans le déni insensé et faire semblant d’ignorer que le peuple doute, et qu’il est raisonnable de prêter une oreille attentive non seulement à son entourage mais aussi au-delà ?


Est-il possible de dissiper ce doute et rassurer?


Après deux décennies, mise à part ce côté extérieur, les cœurs des Rwandais peinent toujours à se remettre des conséquences douloureuses de la tragédie du siècle, le génocide. Or, il est fondamental de panser les cœurs pour espérer qu’on est en train de construire le pays sur des bases solides. Pour certains, un petit soulagement mais éphémère pendant la période annuelle des commémorations et pour d’autres un deuil éternel qu’ils vivent sans extérioriser. Et qu’est-ce qui manque pour les deux ? Avant tout, le travail de mémoire et l’histoire doivent être réconciliés. Pour concilier les deux, il faut être pragmatique une fois qu’on est face au véritable diagnostic de l’actuelle société rwandaise.


Les Rwandais en général, et leurs dirigeants en particulier, feraient mieux s’ils assumaient leur histoire qui n’est pas que rose puisqu’elle comprend aussi le drame, à savoir le génocide dont ils sont responsables en première ligne. Il n’est plus question de se voiler la face. Personne ne pourrait oser écrire l’histoire comme bon lui semble ou pour des intérêts quelconques. Pourquoi ? Parce ce que l’histoire du Rwanda est mieux écrite dans les cœurs des Rwandais que nulle part ailleurs. Le jour où les leaders politiques (qu’ils soient de l’opposition ou ceux qui détiennent le pouvoir) tiendront compte de cette réalité, leurs discours seront mieux soignés et auront un sens. Ils réagiront et poseront des actes après mûre réflexion.


Cet événement qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive ces derniers jours, peut conduire au questionnement qui mérite attention. Et si c’était, en quelque sorte des symptômes du mal dont souffre le pays ; telle une personne malade sans en être consciente, ou qui ne voudrait pas qu’on lui parle de sa maladie en vue de la guérir ? Est-ce que les Rwandais sont convaincus que toute ou en partie, l’opposition en exil ne les aime pas ou veut faire du mal au pays, comme les hautes autorités le martèlent ? La population adhère-t-elle au discours qui consiste à réduire cette opposition, particulièrement le RNC et les FDLR, en forces du mal et des terroristes ? Enfin, cette opposition en exil est-elle capable de prouver et surtout de convaincre le peuple rwandais que ce qui lui est reproché est dénué de tout fondement ? Cette opposition est-elle capable de rassurer le peuple et convaincre ceux qui détiennent le pouvoir que son objectif est de conquérir pacifiquement le pouvoir et non pas le faire par l’effusion du sang ? Finalement, tout le monde n’a-t-il pas besoin d’être rassuré ?


Voilà réellement, entre autres des questions qui méritent de véritables réponses, des réponses au dessus des « egos » pour bien diagnostiquer la maladie et ensuite lui trouver un remède qui lui convient. Aux hommes sages et intègres d’éclairer. Du patriotisme, du courage, de l’humanisme, surtout de l’honnêteté intellectuelle et morale, il en faut maintenant comme pour toujours.


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