LIBERTÉ DE PRESSE, GAGE DE LIBERTÉ DU PEUPLE
Par Jean-Claude Mulindahabi
Sous l'égide des Nations Unies, tous les ans le 3 mai est une journée mondiale de la Liberté de presse. C’est une grande opportunité de regarder dans le rétroviseur pour se rendre compte de ce qui a été réalisé et ce qui n’a pas été accompli. Mais, c’est le moment de s’engager à faire face aux défis ou envisager des perspectives à la hauteur des enjeux en vue d’un avenir meilleur. Où en est le Rwanda ?
Deux décennies après le génocide des Tutsi, après des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité mais aussi après une guerre fratricide qui a duré quatre ans, comme dans d’autres domaines, la presse rwandaise se reconstruit peu à peu. Le Rwanda compte plus de 40 journaux et magazines, 32 stations de radio, 2 stations de télévision et de nombreux sites web d’actualité. Au niveau du chiffre, le progrès est incontestable. La question est surtout de savoir si cette augmentation de médias va de pair avec la liberté d’expression, liberté de pensée, d’action pour les journalistes, et pour ceux qui souhaitent s’exprimer dans les médias. Afin d’éviter les ennuis, certains journalistes ne s’imposeraient-ils pas l’autocensure ? Certains journalistes ne donneraient-ils pas l’image de reproduire d’un côté les idées du régime actuel et de l’autre côté les idées de l’opposition ? Les journalistes se mettent-ils vraiment au-dessus de la mêlée en tant que « quatrième pouvoir » et voix du peuple ?
Parmi les mauvais souvenirs d’avant et pendant le génocide des Tutsi, il y a le dérapage de certains médias, comme la RTLM (la Radio-Télévision Libre des Mille Collines) et Kangura qui ont été nommés « médias de la haine » et qui, (aux yeux du TPIR, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda) ont largement contribué à l'horreur, en la stimulant d'une manière insensée et sadique. La particularité de l’histoire du Rwanda invite les journalistes à adopter leur style et leur langage mais sans enfreindre les règles de la déontologie professionnelle.
20 ans après ce génocide, il convient de voir si les médias apportent leur pierre à l’édifice dans la reconstruction du pays sans partisannerie. L’indépendance, l’impartialité et la liberté d’expression sont-ils privilégiées ou sacrifiés pour le bénéfice des intérêts quelconques ou carrément par peur de subir des conséquences fâcheuses de la part de ceux qui n’ont pas compris grand-chose de l’importance de la liberté d’expression?
La liberté d’expression est l’une des libertés fondamentales. Et comme l’indique l'Article 19 de la déclaration universelle des droits de l'homme : «Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas êtreinquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit».
Le métier de journaliste est un métier « noble » ; le peuple le considère comme le quatrième pouvoir à juste titre. Il revient alors, à ceux qui l’exercent de ne pas décevoir. Le pouvoir change mais la presse reste. C’est pourquoi, les journalistes doivent toujours se placer au-dessus de la mêlée. Informer, éduquer, divertir et accorder la parole à toutes les sensibilités, débat d’idées dans un climat de respect mutuel. À l’heure actuelle, la presse doit être un canal d’échanges de bonnes idées susceptibles d’inspirer de bonnes solutions aux différents problèmes de la société.
Quelques déclarations ou événements sur la liberté d’expression au Rwanda.
Il y a deux semaines le département d’Etat américain a appelé Kigali à respecter la liberté de la presse, à garantir un procès équitable pour Cassien Ntamuhanga, Kizito Mihigo et leurs co-accusés et a rappelé au gouvernement rwandais l’importance "d’autoriser la liberté d’expression".
Quelques jours après, RSF (Reporters sans frontières) a été informé d’au moins deux journalistes qui ont été contraints de fuir le pays depuis début avril. Stanley Gatera, du site d’information indépendant Umusingi, et le journaliste Eric Udahemuka, du journal Isimbi. RSF ajoute « le Rwanda dont le régime s’illustre régulièrement par les atteintes au droit à l’information de ses citoyens, occupe la 162e place sur 180 pays dans le Classement 2014 de la liberté de la presse ».
RSF a aussi relevé que : « le samedi 15 mars, Steve Terrill, journaliste freelance américain, s’est vu refuser l’accès au territoire rwandais alors qu’il se rendait à Kigali couvrir pour Al Jazeera et The Christian Science Monitor les commémorations des 20 ans du génocide de 1994. Arrivé à Kigali, il a été empêché d’entrer dans le pays puis retenu plusieurs heures sans pouvoir téléphoner, avant d’être mis dans un avion à destination d’Addis Abeba.
RSF indique que les journalistes américains n’ont, selon les règles rwandaises, pas besoin de visas pour entrer travailler au Rwanda. Steve Terrill avait été en contact avec le Haut Conseil des Médias (Media High Council) quelques mois plus tôt, qui avait donné son accord de principe pour l’accréditation du journaliste. Le gouvernement rwandais n’a pas donné de raison officielle à cette expulsion mais il a néanmoins tweeté un article concernant une ancienne affaire judiciaire dont le journaliste avait été exonéré. Il ajoute ensuite que la journaliste de Radio France Internationale (RFI), ancienne correspondante à Kigali - elle en avait été expulsée en juin 2006 - Sonia Rolley, a fait ainsi l’objet de harcèlement sur Twitter de la part d’un personnage œuvrant sous le nom de Richard Goldston, supposé proche de la présidence rwandaise.
RSF parle de quatre journalistes du Daily Monitor qui ont traité de sujets en lien avec le Rwanda, et qui sont actuellement victimes de graves intimidations allant jusqu’à des menaces d’élimination. Il mentionne qu’Ils sont accusés par les médias d’Etat et par les services de renseignement rwandais de collaborer avec le Congrès National Rwandais (Rwanda National Congress - RNC) et de faire la propagande de ces dissidents rwandais en exil.
RSF rappelle le cas de deux journalistes rwandais qui ont été tués en moins de deux ans, entre 2010, année des élections présidentielles, et 2011 ; Charles Ingabire, éditeur du site Internet Inyenyerinews.org et très critiques vis-à-vis des autorités rwandaises, assassiné dans la nuit du 30 novembre 2011 à Kampala où il était réfugié depuis 2007. Le 24 juin 2010, le rédacteur en chef adjoint du bimensuel Umuvugizi, Jean-Léonard Rugambage avait été tué par quatre balles à bout portant, devant son domicile de Kigali. La décision de la justice le 15 septembre 2011 de condamner un des deux coupables présumés de ce meurtre à dix ans de prison et d’innocenter le second avait laissé Reporters sans frontières très sceptique.
Enfin, Reporters Sans Frontières rappelle la remise en liberté, le 25 juin 2013 à Kigali, de Saidat Mukakibibi. Elle avait été coupable d’"atteinte à la sûreté de l’Etat" et sa peine avait été de trois ans de prison ferme. Sa codétenue Agnès Uwimana Nkusi, directrice d’Umurabyo, reste pour l’instant incarcérée. Condamnée pour "atteinte à la sûreté de l’Etat" et "diffamation" contre la personne du président Paul Kagamé, elle a écopé quatre ans de prison ferme.
Le progrès au niveau de la technologie est un pas franchi pour la presse rwandaise. Cependant, le chemin à parcourir reste trop long. À l’intérieur du pays, d’une part, la censure et surtout l’autocensure ne sont pas chose rare par peur d’ennuis avec les dignitaires. D’autre part, la plupart des médias rwandais basés à l’étranger, ont du mal à prendre du recul, faute d’indépendance, les Rwandais les trouvent comme partie prenante à l’opposition. Cela ne permet ni crédibilité ni confiance. Ce qui peut jaillir l’espoir, c’est que parmi les journalistes rwandais, il y en a qui se sont engagés à travailler en toute indépendance, impartialité et le respect de la déontologie professionnelle quel qu’en soit le coût. Puissent les mois et les années à venir nous conduire à dresser un bilan beaucoup plus positif. Cela dépend de la bonne volonté de chacune et chacun.