ÊTES-VOUS VRAIMENT RESPONSABLES?
Par Jean-Claude Mulindahabi
Depuis quelques jours, les autorités rwandaises parlent de graves soupçons d’atteinte à la sureté de l’Etat, d’où un nombre grandissant d’arrestations de personnes qui seraient impliquées. Les organisations internationales de droits de l’homme, comme HRW (Human Rights Watch), s’inquiètent de cette situation et ajoutent qu’il y aurait des disparitions.
Selon HRW certaines personnes détenues auraient été soupçonnées d’avoir des liens avec les FDLR, la rébellion considérée comme ayant parmi ses rangs des génocidaires et perçue comme une menace par Kigali. Celui-ci pointe également du doigt le RNC (Rwanda National Congress), une autre formation d’opposition en exil composée principalement des dissidents du FPR (Front Patriotique Rwandais), parti au pouvoir depuis 20 ans.
Par ailleurs, un journal canadien, The Globe and Mail, publie une enquête selon laquelle, les opposants rwandais seraient visés pour être assassinés. Le ministre rwandais de la Justice, Johnston Busingye, a démenti catégoriquement toutes ces allégations. Que faut-il faire pour prévenir l’aggravation de l’atmosphère qui n’est plus sereine ? Ni les armes ni l’indifférence ne seraient une bonne option. Seule, la voie pacifique éviterait à ce beau pays de sombrer une fois de plus dans l’effusion de sang. Etre responsable quand on est leader politique, c’est faire de bons choix pour son pays, c’est aussi faire la paix. Tout le monde a intérêt à emprunter cette voie.
LE PIRE ENNEMI, CE N’EST PAS l’AUTRE, C’EST SOI-MEME
Cette formulation existe depuis belle lurette. Elle n’est pas mienne. La peur, la jalousie, la méfiance, la soif de dominer en usant de la violence, l’égocentrisme, les intrigues, la perversion narcissique, la haine, le refus de l’autre ou carrément l’écarter quand il ne se soumet pas, c’est cela le véritable ennemi qui habite l’humain et qui se répercute sur son prochain. Quand une partie de la classe politique met en cause le mode de gouvernance, comment doivent réagir les plus hautes autorités du pays ? Rester indifférent ou passer à la répression pour faire taire les voix discordantes ? Ou tout simplement écouter les critiques même si parfois, elles ne sont pas tendres, et pourquoi ne pas dialoguer pour dissiper la mésentente et ainsi éviter la « collision» pour ne pas dire le « crash »? Cette dernière voie, (celle d’échanges, d’écoute et de débats démocratiques) permet de pacifier l’espace politique et de prévenir des conflits fratricides.
Ce qui est dommage, c’est que dans certains cas, ceux qui se sentent en position de force, ont du mal à avoir le courage et la sagesse de faire ce choix. De ce fait, ils peuvent s’imposer et gouverner plusieurs années durant au mépris des doléances de la population. Cependant, dans cet état de choses, l’héritage laissé derrière n’est jamais glorifiant. La preuve est que, plus tard les conséquences refont surface.
En pleines difficultés, dont il est le principal responsable, l’homme mal inspiré et non visionnaire, s’acharne sur les autres comme s’ils en étaient les auteurs. C’est aussi le manque de courage et de sagesse que de penser qu’on est le seul à avoir raison, que tous les maux et les malheurs viennent toujours de l’autre, et de ne jamais essayer parfois de résoudre les problèmes à commencer par se remettre en cause soi-même. Si réellement les politiciens rwandais cherchent à apporter de bonnes solutions, il leur faudra d’abord être cohérents avec eux-mêmes ; c’est dire, bien construire un projet de société avant de concourir ou lancer des critiques contre l’adversaire.
Qu’attend réellement le peuple rwandais ?
Assister au spectacle amer des politiciens de l’opposition et ceux du régime qui, parfois manquent de courtoisie et s’échangent des noms d’oiseaux ? Qu’ils déclarent la guerre ? Non, le peuple serait rassuré, si et seulement si, les deux camps se donnaient la main pour pacifier le champ politique et faire la compétition en passant par les voies pacifiques et démocratiques.
Ces derniers jours, le terme ennemi est revenu à plusieurs reprises dans les propos des autorités rwandaises. Dans cet article, il n’est pas question de susciter une polémique ni entrer dans une spéculation pour pointer du doigt qui que ce soit. La loi, spécialement le code pénal met en lumière les infractions et les peines applicables. La justice est là pour faire respecter le droit et pour que l’ordre règne dans la société. Dans cet article, il s’agit tout simplement d’un questionnement qui peut conduire à une réflexion, un échange ou un débat mais dans le but d’éviter la globalisation, l’amalgame et les erreurs comme celles du passé.
Quelle est la bonne manière de prévenir le mal ou le danger ? En aucun moment, il ne s’agira ni d’incriminer ni de disculper qui que ce soit. Cette mission ne revient qu’aux institutions compétentes et connues de tous. Le respect des institutions étatiques est la règle d’or. Cette période mérite que tout le monde porte un message d’espoir et de paix. Les visionnaires apprennent en s’inspirant de bonnes leçons de leur histoire. La pacification de l’espace politique est une base fondamentale sur laquelle on peut espérer construire un pays à travers plusieurs générations.
Avec un langage différent, un ton et un angle qui peuvent varier selon les personnalités ou les médias, ceux qui se prononcent sur la situation politique au Rwanda, ne donnent pas l’image d’un climat assez serein à l’heure actuelle. Les soupçons d’atteinte à la sécurité de l’Etat, suivis d’arrestations en inquiètent plus d’un. Les autorités appellent la population à ne jamais parler avec l’ennemi sans le nommer, ce qui peut prêter à confusion. Mais, qui est le véritable ennemi et pourquoi est-il ainsi qualifié dans un pays qui n’est pas en guerre? La réponse appartient aux instances mandatées à cet effet. Mais une question à se poser : faut-il interdire de parler à quelqu’un ? Ou faudrait-il bien clarifier et dire qu’il s’agit d’interdire de conspirer contre l’Etat et d’être impliqué dans les exactions.
L’histoire (récente ou lointaine) devrait nous remémorer et nous aider d’en tirer de bonnes leçons. Espérons que l’atmosphère moins sereine que nous renvoient les différents acteurs, ne ressemble à la réalité vécue particulièrement entre les années 1990 et 1994 où l’on a globalisé, en assimilant une partie de la population en la traitant injustement de complice.
À cette époque, les auteurs du génocide des Tutsi, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, se sont trompés d’ennemi et ont cédé à la barbarie au lieu de résoudre en toute logique les problèmes de la société rwandaise. A ce moment-là, de vive voix, le peuple rwandais réclamait un changement de mode de gouvernance. Le processus était en cours, lorsque une partie de la population influencée par les politiques s’est laissée aveugler par le pire ennemi, à savoir le rejet de l’autre, le refus du partage du pouvoir, l’intolérance, jusqu’à vouloir exterminer ses compatriotes, ce qui a conduit le pays à cette page sombre et plus que morne de son histoire : le génocide.
Adolf Hitler avait perpétré la même « sauvagerie » pendant la Deuxième Guerre mondiale. Au-delà de ses ambitions de conquête du Monde surtout l’Occident, Hitler avait ciblé les Juifs comme ses pires ennemis. Dans ses discours, il rendait les Juifs responsables de l'ensemble des malheurs qui avaient frappé le peuple allemand depuis 1914. Lors de son discours annuel au Reichstag, le 30 janvier 1939, Hitler exposa aux députés sa vision des dangers qui pesaient sur le peuple allemand : pour lui, l'« ennemi juif mondial », vaincu dans le Reich, constituerait une menace depuis l'étranger.
Hitler prétendait que depuis les pays voisins du Reich que la « Juiverie Internationale » préparait sa vengeance contre le peuple allemand, sous la forme d'une guerre d'extermination. Voilà comment, il a commis l’irréparable en s’en prenant aux Juifs, enfants, vieillards, femmes, hommes, filles, garçons sans distinction aucune, un génocide nommé « shoah ». Le véritable ennemi ce n’était pas les Juifs, c’était Hitler lui-même ; c’est-à-dire, son manque de respect et de considération du prochain. Heureusement, Adolf Hitler a logiquement été vaincu. Au moment de la défaite, il s’est suicidé.
Et maintenant, concernant le Rwanda, les auteurs du génocide tutsi ou d’autres crimes de guerre et crimes contre l’humanité, sont-ils paisibles au fond d’eux-mêmes ? Loin de là. Sont-ils conscients que l’ennemi n’était pas celui qu’ils avaient ciblé ? Regrettent-ils et se repentissent-ils pour les exactions et les atrocités commises? L’histoire du Rwanda sert-elle de bonnes leçons aux politiciens actuels ? Etre responsable politique, c’est aussi résoudre les problèmes d’un pays, non pas dans ses propres intérêts mais dans l’intérêt général de la nation. Pour le faire, il faut écouter et entendre, non pas uniquement son camp mais surtout l’ensemble de ses concitoyens.
Il est dommage que l’homme n’apprenne pas suffisamment de son histoire. « Hélas, (comme disait Stéphane Hessel) l’histoire donne peu d’exemples de peuples qui tirent les leçons de leur propre histoire » (Essai de S. Hessel « Indignez-vous » p.13, Indigène Editions octobre 2010). Comment peut-on se permettre de commettre les mêmes erreurs tout en sachant que tôt ou tard les effets boomerang sont impitoyables. Le manque d’inspiration, de sagesse et de vision ne permet pas toujours de chercher les vraies causes de problèmes dans la société.
Le plus simple chez l’homme c’est que, c’est l’autre qui est toujours à la base des erreurs, des troubles et des malheurs et pas lui. Facile prétexte pour s’en prendre à son prochain ou carrément l’éliminer ou l’écarter de l’espace vital, alors qu’il existe les voies et moyens qui favorisent le vivre-ensemble et qui permettent aux politiciens de concourir sans violences, ni la guerre. Comme le disait le chanteur Casimir Zao Zoba « la guerre ce n’est pas bon » (dans son 1er album sorti en 1984 sous le nom de "Ancien combattant"). Alors, il ne faut jamais attiser la guerre, ni dans un sens ni dans un autre, ni par les uns ni par les autres. Aux femmes, aux hommes, aux âmes sages et visionnaires d’inspirer les leaders politiques rwandais qui, à l’heure actuelle, ne rassurent pas suffisamment ce peuple humble qui ne cherche qu’à vivre dans la dignité et la tranquillité.