Nos ainés doivent faire la paix avec le passé
- rwandageopolitique
- 29 juin 2014
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Par Christelle Manege
C'est avec ma foi et ma mémoire que je voudrais livrer mon témoignage sur la période d'avant génocide aux jeunes de ma génération.
À cette époque, j'étais une petite fille qui n'avait pas la moindre idée de ce qui se passait. Les journées paraissaient comme toutes les autres. Quelques semaines avant le génocide, nous fréquentions l'école comme prévu.
À l'école nous étions tous pareils. Il n'y avait aucune différenciation entre Hutu et Tutsi. Entre nous, nous nous amusions comme des petits fous sans haine, sans jalousie, sans méchanceté, juste du pur bonheur. J'avais six ans et j'étais en deuxième année du primaire. Je me souviens que l'année suivante, je devais commencer à étudier à l'École belge, car j'avais sauté une classe et j'avais de bonnes notes pour être reclassée. Mais malheureusement, je n'ai jamais eu cette chance de mettre mes pieds dans cet établissement. La guerre nous a surpris.
Nous avons passé deux semaines dans notre maison à Remera à attendre de l'aide de l'extérieur mais en vain. Il y avait beaucoup de gens qui disaient qu'ils étaient là pour nous aider, mais mon père savait parfaitement que c'était faux. La raison qui a poussé mon père à forcer notre évacuation est quand une balle perdue a atterri entre ma demi-sœur et moi. À cet instant, mon père a pris la sage décision de sortir de la maison principale et de nous cacher dans l'annexe. Quelques jours plus tard mon père a réussi à nous amener au stade Amahoro en toute sécurité. Sur notre chemin, des miliciens Interahamwe ont tiré sur nous mais par la grâce de Dieu ils nous ont ratés. Et plus loin sur un barrage, des soldats ont reconnu ma grande sœur Chika et ils ont dit que ma mère était avec eux. Puis ils nous ont ouvert la barrière en rassurant mon père qu'ils allaient aviser ma mère Mathilde que nous étions vivants.
Au stade nous avons pu retrouver certains membres de la famille, Charles mon oncle et son épouse Chantal ainsi que mon cousin Achille. Grâce aux relations que ma mère et mon père avaient tissées nous avons quitté le Rwanda pour la Suisse. Plus tard, j'ai appris que nous avions perdu beaucoup de membres de ma famille aussi bien du côté de mon père que celui de ma mère.
À partir de la Suisse, nous sommes venus nous installer au Canada grâce aux bonnes relations et aux économies de mon père. Ainsi nous avons démarré une nouvelle vie. Mon père a pu acheter une maison à Québec grâce à la maison familiale Gakoko que mon grand père lui avait offerte en cadeau quand il venait d'obtenir sa maîtrise en génie électrique à l'âge de 25 ans. Et, enfin, la vie semblait nous sourire à nouveau...
Jusqu'au où jour j'apprends qu'il y a deux groupes ethniques rwandais au Canada. Je me disais, « ce n'est pas possible. Nous venons d'échapper à cette tragédie au Rwanda et voilà que ses conséquences nous rattrapaient dans un pays étranger. » Et c'est à ce moment, que j'ai compris que la haine était toujours dans la mémoire des Rwandais.
Si nous voulions vraiment reconstruire le Rwanda comme le dit mon père à travers le changement de paradigme, il faut tout d'abord commencer par la base, éduquer les jeunes en leur inculquant les vraies valeurs humaines et surtout la vraie culture rwandaise. Une bonne éducation est à la base de la formation d'une bonne personnalité. Nos ainés doivent faire la paix avec le passé pour pouvoir donner la chance aux futures générations afin qu'elles puissent s'épanouir ici sur terre. Car le pardon guérit l'âme de soi et l'âme de ces rejetons. Je cite mon père : « Un pays se construit et se gouverne dans la démarche de macrovision et dans la perspective du long terme, et non dans la compréhension mesquine et la pulsion revancharde figées sur le "sur place" ».
Les jeunes de mon âge n'ont pas à subir le racisme de leurs ainés, car ces jeunes grandiront avec la culpabilité des crimes qu'ils n'ont jamais commis et leur vie sera complètement ruinée à cause d'un simple regard ou d'une simple rumeur. La même chose pour ces jeunes qui ne peuvent pas se rencontrer dans des fêtes à cause de leur appartenance ethnique. Nous devons donc changer la pensée destructive pour la remplacer par la pensée constructive. Il y a une chose que mon père m'a toujours dit et je ne l'oublierai jamais de ma vie. "Ce n'est pas parce que je suis ton père que tu dois croire à tout ce que je te dis. Moi-même, je peux me tromper. C'est à toi d'aller chercher le plus de renseignements auprès d'autres gens aussi crédibles." C'est à ce moment, que j'ai compris qu'il voulait que je me forge mon propre esprit analytique et critique. À cet instant, j'ai compris que je ne devais jamais avoir peur de défendre ce qui est juste pour moi, même si je suis seule à défendre mes propres convictions. Et j'ai aussi réalisé que c'était comme ça qu'on formait des intellectuels et des dirigeants. Aujourd'hui, je n'ai pas peur de dire « STOP » ou « NIET ».
Nous devons arrêter de nous diviser et nous devons arrêter de nous nourrir de la négativité du passé. Certes, nous ne pouvons pas oublier et nous avons pas le droit d'oublier, mais nous devons pardonner pour aller de l'avant. Le passé doit nous apprendre, nous forger, nous faire grandir pour nous permettre d'évoluer. Nous devons penser à l'avenir de nos enfants. Que nos rejetons soient fiers d'où ils viennent. Qu'ils se disent que malgré la tragédie, leurs parents sont restés debout, forts à reconstruire le Rwanda pour nous tous. Qu'ils soient capables de rentrer dans leur pays et de donner exemple à leurs enfants aussi. Pour la génération post-génocide, il est de notre devoir de devenir un modèle pour nos propres enfants, pour les nouvelles générations et pour le reste de l'Humanité. Nous devons cesser de nous diviser pour des futilités en rapport avec la politique. Le Rwanda est à nous et sans toutes les composantes de la société rwandaise, la nation rwandaise n'existerait pas. Pour l'avenir, nous devons unir nos forces, nos talents comme nos ancêtres le faisaient dans le temps, avant la colonisation, pour vivre en paix et en harmonie.
Nous devons montrer aux autres civilisations la vraie force des Rwandais pour que la communauté internationale découvre que le Rwanda n'est pas seulement le pays des mille collines et des mille problèmes mais aussi le pays des mille chandelles et des mille solutions. Nos ancêtres étaient des vrais guerriers, des vrais bâtisseurs, retrouvons cette inspiration et cette force en nous. Le Rwanda nous appartient et c'est à nous de changer son visage et accroître sa visibilité. Battons-nous pour la cohésion et la paix sociales pour l'avenir de nos enfants.
Chère nouvelle génération post-génocide, ce message vous est dédié. C'est en unissant nos réflexions et nos forces dans l'amour de notre mère patrie que nous pouvons chanter haut et fort : NEVER AGAIN. Le Rwanda notre beau pays est une destination de rêve pour les étrangers, faisons de ce rêve le génie-créateur pour l'épanouissement de tous les Banyarwanda.
Merci mon père pour tes conseils, sans toi je n'aurais jamais écrit cet article. Je suis la fille de Victor Manege Gakoko et de Mathilde Musabirera ainsi que la petite fille de Jérôme Gakoko et François-Xavier Sefuku.
*Victor Manege Gakoko - Ingénieur électricien - était Coordinateur du secteur de l'énergie au Rwanda *Mathilde Musabirera (+) - Biochimiste - était Chef de laboratoire d'Eau de Kigali *Jérome Gakoko (+) -Technicien supérieur vétérinaire - était Directeur de l'élevage au Rwanda *François-Xavier Sefuku (+) - Technicien supérieur médical - était Directeur du premier centre de santé du Rwanda
Chrystelle Manege, Sociologue en devenir
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