PRÉSIDENTIELLE 2017: GRILLE DE DÉPART
L’opposition en mal d’organisation
Le plus grand défi de tous les temps que le Rwanda ait à relever consiste sans doute à assurer l’application de sa Constitution en matière de succession au pouvoir. Depuis que ce pays existe en tant que République, aucun président n’a cédé le pouvoir par voie électorale, tous ont été soit renversés par coup d’État suivi d’emprisonnement, soit par assassinat.
L’expérience électorale d’ordre présidentiel est un véritable cauchemar pour les Rwandais: le premier scrutin présidentiel a été organisé par le général major Juvénal Habyarimana en 1978 après le coup d’État qui avait renversé Grégoire Kayibanda en 1973.Alors une constitution sur mesure fraichement adoptée stipulait que seul le président du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND), qui curieusement se trouvait être le président de la République, était habilité à se présenter comme candidat. Le MRND était le seul parti-État institutionnalisé.
Le régime du Front patriotique rwandais (FPR) qui a accédé au pouvoir après le génocide d’avril-juillet 1994 a déjà organisé deux scrutins qui, malheureusement, n’ont apporté aucun changement substantiel dans la pratique. Sous le mirage d’élections pluralistes se cache l’exclusion manifeste de l’opposition. L’agrément des candidatures est strictement stratégique pour le FPR qui, à travers une commission électorale obéissante, s’assure d’écarter les partis qui ne sont pas dans sa mouvance. La différence de pratique réside dans la forme pour les deux régimes mais, au fond, la finalité est commune dans ce que le professeur Filip Reyntjens, spécialiste du Rwanda, appelle « la dynamique des élections sans risque ».
Le départ, c’est maintenant
Advenant que cette fois-ci le président Kagame fasse la différence en maintenant la Constitution et qu’en 2017 les partis d’opposition soient invités à se présenter, dans ce cas quel est le bon moment pour commencer les préparatifs?
L’impopularité du président Paul Kagame en matière de gouvernance démocratique semble induire beaucoup de politiciens en erreur quant à leur positionnement sur la grille de départ, alors que ces derniers ignorent la Constitution et tablent largement sur les comportements et positions versatiles du chef de l’État. Certes, chaque chef de parti se mesure à Kagame et s’estime victorieux en cas d’élection libre, quelque soit le retard pris. « Pourvu que Kagame m’autorise d’entrer dans le jeu », disent certains. Avec une pareille perspective, plusieurs politiciens qui évoluent en exil risquent fort d’être surpris par un retournement de la situation au pays où ils se trouveraient coincés dans un embouteillage ou impliqués dans un carambolage en raison de mauvais timing.
Le FPR se trouve en pole position eu égard aux atouts à sa disposition, l’opposition devant donc se dépasser pour dézinguer un géant qui tient les rennes du pouvoir depuis 1994. Pour y arriver l’opposition a besoin de faire son entrée sur le terrain, s’adapter aux conditions du terrain, et surtout faire preuve de "fair play" dans le jeu afin d’inspirer la confiance aux spectateurs que sont les électeurs rwandais et les observateurs internationaux.
Supériorité numérique désavantageuse
Vingt-cinq (25) joueurs contre sept (7). Le nombre des partis d’opposition continuant d’augmenter; aujourd’hui ils sont 25 contre le FPR et ses 6 satellites.Loin donc de profiter de l’impopularité du chef de l’État Kagame, les partis d’opposition sont plutôt désavantagés par leur supériorité numérique car, à défaut de faire front commun et possiblement identifier de futurs candidats potentiels, le FPR risque de remporter une victoire nette sans devoir recourir ni à la fraude ni à la terreur. Mais avant d’arriver à cette étape, les partis d’opposition devraient, dès aujourd’hui, déployer beaucoup d’efforts à surveiller les tentatives du régime de tripatouiller la constitution aux fins de permettre au président Kagame de briguer le troisième mandat.
À part le désordre en son sein, tant sur le plan structurel que sur le plan idéologique, l’opposition souffre énormément du manque de fonds. Activant le bouton de son immense potentiel financier, le FPR est habile à faire changer de camp les opposants et les tourner contre les anciens camarades. Nombreux sont ceux qui se fatiguent de tourner en rond et mettent à l’épreuve leur créativité en matière de bricolage de solutions.
L’opportunisme étant une accusation devenue commune, on a vu la plupart des partis forts de l’opposition s’affaiblir ou pratiquement s’éteindre faute de confiance entre membres, ce qui cause beaucoup d’incertitude au sein du public quant à la capacité de l’opposition d’apporter les changements tant attendus.