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Le mal rwandais vu au microscope

De faux diagnostics aux fausses solutions


Il existe des détails importants qui échappent à la plupart d'analystes et politiciens, tant rwandais qu'étrangers, et qui par conséquent compromettent la recherche de solution aux problèmes fondamentaux pesant sur la Nation rwandaise. La passation de pouvoir est l'une de ces questions de fond qui s'avère endémique et ayant pour toile de fond la violence, l'effusion de sang, la déshumanisation et l'exil.

La présente réflexion se veut une humble contribution à un débat public tant attendu au sein de la société rwandaise en général et au sein de l'élite intellectuelle en particulier. L'exercice consiste à lancer la balle dans le camp de nos dirigeants ainsi que dans le camp des aspirants qui ont tous intérêt à se pencher sur ce thème de passation de pouvoir et de démocratie afin de s'assurer de leur cohérence et surtout rassurer le peuple qui en a marre de cette perpétuelle faillite sociale.


Contexte sociohistorique


Le Rwanda est un petit pays d'Afrique dont la démographie est l'une des plus élevées et qui pourrait être la plus galopante du monde. Selon les statistiques à jour en 2016, près de douze millions de personnes se serrent dans ce petit espace de 26 338 kilomètres carrés, soit près de 500 personnes par kilomètre carré. En 1900 la population du Rwanda monarchique était estimée à un million de personnes. En 1950, la population rwandaise est estimée à deux millions deux cents mille, en 2000 elle est estimée à huit millions. Les projections démographiques donnent au Rwanda une population de 21 millions d'habitants en 2050.

La croissance démographique au Rwanda va de pair avec des troubles sociaux récurrents, caractérisés par des massacres d'ordre politique qui la plupart du temps reposent sur les différences identitaires. Les autorités actuelles du pays ne reconnaissent pas l'existence de ces différences couramment appelées "ethnies", mais la réalité est qu'au Rwanda la population est composée d'individus qui se reconnaissent ou sont étiquetés comme étant Hutu, Tutsi ou Twa à des proportions variées. Depuis les années 1950, alors que le Rwanda était une colonie belge, des luttes sanglantes pour le pouvoir opposent les Tutsi (anciens seigneurs et tenants du pouvoir monarchiques, 14% de la population) aux Hutu (anciens serfs, majorité de la population à la proportion de 85 %). Les Twa, pygmoïdes considérés comme autochtones, sont estimés une espèce en voie d'extinction avec une proportion de moins de 1% de la population. Mais ces proportions restent très variables pour les Hutu et les Tutsi, les membres des deux blocs rivaux pouvant changer de camps selon les circonstances. Selon une note de recherche sur la question de la population du Rwanda et de sa classification publiée par le Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST) "les personnes d’un groupe ethnique peuvent se déclarer d’une autre ethnie en raison du climat sociopolitique qui règne au moment de la collecte [de données, recensement de la population ndlr]. En 1952 par exemple, un test qui a été effectué après l’enquête démographique a montré que "plus d’un quart des indigènes recensés comme des Batutsi étaient en réalité des Bahutu." Cette observation rend la notion d'ethnie au Rwanda très polémique. Elle était récemment confirmée par l'actuel Premier ministre rwandais Anastase Murekezi lors de ses aveux du 25 novembre 2013 dans le cadre du programme "Ndi Umunyarwanda". Monsieur Murekezi déclare en substance qu'à l'origine ses ancêtres étaient Tutsi et que, réduits à la servitude par les Hutu, ils sont devenus Hutus. Lui même Tutsi (à en croire son acte de pénitence), Monsieur Murekezi aurait persécuté les Tutsi et encouragé le régime hutu à persécuter cette minorité.

La Révolution sociale de 1959 fait chuter la monarchie. En 1961, le pays devient une république et accède à l'indépendance une année plus tard. Pendant ce processus qui met les Hutu au pouvoir, les affrontements font beaucoup de morts parmi les Tutsi tandis que des dizaines de milliers prennent le chemin d'exil. Les autorités embarquent le pays sur une nouvelle dynamique de liberté, coopération et progrès ignorant complètement le problème des réfugiés. Elles s'efforcent plutôt à faire naturaliser ces derniers dans les pays qui hébergent, la raison avancée étant l'exiguïté du territoire rwandais. Cependant les Rwandais exilés n'abandonneront jamais l'idée de retrouver leur mère patrie. Trente ans après l'exode sanglant, le retour se veut apocalyptique dans le sens où les Hutu au pouvoir ont du mal à en céder un morceau, alors que les Tutsi rebelles veulent la totalité. Après quatre ans de guerre d'usure le régime hutu, à bout de souffle, se résout à l'extermination des Tutsi de l'intérieur suite à l'attentat contre l'avion présidentiel dans lequel périt le président Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994. Le génocide contre les Tutsi dure pendant cent jours au bout desquels les rebelles victorieux prennent le pouvoir et commencent le chantier de redessiner à leur guise les contours politiques, économiques et socioculturels de la nation rwandaise.

Le génocide contre les Tutsi constitue une fracture sociale difficilement réparable dans le sens où plusieurs détails qui l'entourent restent occultés pour des raisons qui échappent à l'intelligence alors que cette tragédie devient un atout politique monstrueux, un épouvantail diplomatique éhonté, voire un fonds de commerce abominable. Parmi les détails occultés, les massacres qui ciblent les Hutu. Avant, pendant et après de génocide. À l'intérieur autant qu'à l'extérieur du Rwanda. Évoquer le sang des Hutu sous le régime des Tutsi revient à nier le génocide. Pour rasseoir irréversiblement la domination de Tutsi le régime s'évertue à qualifier les Hutu de criminels par naissance, tous sommés de demander pardon au nom de leur ethnie, les enfants indéfiniment obligés de demander pardon au nom de leurs aïeux. Incapables de gérer la problématique identitaire, tous les régimes qui se succèdent au Rwanda se font certainement sauter par cette perpétuelle bombe à retardement.


Le rituel régicide de la monarchie à la République


La légende des monarques rwandais n'est pas que glorieuse avec des hauts faits de guerre d'expansion, il faut demander aux gardiens du code ésotérique pour connaître l'autre face de la médaille et percer les mystères entourant la succession au trône. Nos rois étaient tous assassinés et nombreux de leurs proches devaient également périr dans le but d'éviter ou d'atténuer les rivalités et rassurer le nouveau souverain. On ne s'en choque pas à outrance car cela relevait d'une certaine convention sociale à une certaine époque où le peuple s'accommodait pas mal de ce système de gouvernance. Le paradoxe apparaît seulement sous la République quant les valeurs occidentales mal assimilées par l'élite régissent la vie d'un peuple aveugle et foncièrement fataliste.

L'arrivée quasi fortuite de la République suivie de près d'une indépendance de façade feront jusqu'aujourd'hui vivre le cauchemar au peuple rwandais en matière d'alternances démocratiques. République, indépendance et démocratie sont des concepts tellement populaires présents sur toutes les lèvres et qui constituent le pivot de la Constitution. Or, force est de relever que, ni l'électeur ni l'élu ne sont capables de définir aucune de ces valeurs. La Constitution, elle, est comparable à un accoutrement mal assorti de l'empereur qui doit l'ajuster à sa guise. Toujours tentés de rester indéfiniment au pouvoir grâce aux constitutions tripatouillées, nos présidents de la République finissent aussi par connaître une fin tragique en se faisant zigouiller.

Le premier président de la République du Rwanda indépendant, Grégoire Kayibanda, n'a pas quitté le pouvoir par voies constitutionnelles. Il a été remplacé à l'aide d'un coup d'Etat militaire puis soumis à des conditions calamiteuses qui l'ont emporté trois ans seulement après le coup d'Etat, à l'âge de 52 ans. Le père de l'indépendance n'a pas été assassiné, il a connu une disparition très lente, condamné à mourir à petit feu.

Arrivé au pouvoir à bord d'un coup d'Etat, le président Juvénal Habyarimana ne manque pas de génie quand il introduit la notion de "démocratie responsable" dans un système à parti unique. Toujours meilleur dans des élections à candidat unique, la popularité de Juvénal Habyarimana est sérieusement entamée quand la France exige le multipartisme lors du sommet Afrique-France de La Baule. Les partis renaissent au Rwanda comme des champignons tandis que des réfugiés frappent à la porte à coups de Kalachnikovs. On réclame le départ du chef de l'Etat qui vient de terminer quatre mandats de cinq ans (1973-1993) mais ce dernier veut jouer toutes les cartes en main pour retarder cette retraite bien méritée. Le décès tragique de Habyarimana, tué le 4 avril 1994 dans un attentat terroriste à l'âge de 57 ans, aurait dû servir de mise en garde pour ses successeurs.

Le successeur direct de Juvénal Habyarimana est mort comme il est arrivé au pouvoir. Dans l'anonymat total. Titulaire d'office du poste en sa qualité de président de l'Assemblée nationale, le Dr Théodore Sindikubwabo prête serment en tant que président de la République selon la Constitution, sans cérémonie puisque le génocide est déjà en cours. Trois mois plus tard, le président se volatilise dans les forêts du Zaïre où il s'est réfugié devant la victoire du FPR, la victoire qui a sonné le glas du régime dit hutu.

Il n'y a aucune trace de constitution dans le retour en force des Tutsi en 1994, car le caractère de revanche que ce retour revêt force les Hutu à l'exil pas millions. Pasteur Bizimungu est président, fantoche comme il l'affirmera lors de son évincement en 2000, tandis que le général Paul Kagame est le vice-président et le véritable détenteur du pouvoir. En 2003 une constitution est votée par référendum, fixant à deux les mandats du président de la République d'une durée de 7 ans chacun. Le général Kagame qui vient de faire 9 ans de transition rafle les deux mandats pendant lesquels il oeuvre minutieusement à bétonner le système FPR qui repose essentiellement sur la victimisation des Tutsi et l'humiliation des Hutu. Aujourd'hui, alors que le départ de Paul Kagame était attendu à la fin de ses deux mandats (23 ans de règne sans partage), voilà que ce dernier vient de faire changer la constitution et organiser un autre référendum dans la tentative de rester au pouvoir au de-là de 2017.

Dans son discours à la Nation le 31 décembre 2015, le général Kagame dit "Vous m'avez demandé de continuer à diriger ce pays après 2017, je ne saurait qu'accepter." La nouvelle constitution met Paul Kagame en orbite pour une présidence qui pourrait durer jusqu'à 2034. L'annonce du 31 décembre 2015 a été accueillie comme une déclaration de guerre, tant au sein de l'opposition qui végète en exil ou dans les chancelleries occidentales qui ont déjà exprimé leur "déception". Le général Kagame aspire-t-il au même dénouement que ces prédécesseurs? En tous cas il est difficile de se convaincre du contraire.


Qu'est-ce qui fait obstacle à la passation pacifique de pouvoir sous la République?


La peur d'un lendemain incertain. Nos leaders "républicains", de Grégoire Kayibanda à Paul Kagame, tous sans une moindre exception, font montre du manque de vision et d'étique républicaines. Menant des politiques plus axées sur des intérêts personnels ou de cliques que des intérêts de la Nation, nos chefs de l'Etat se sentent progressivement en danger au rythme de l'accumulation des forfaits. Biens mal acquis, mais aussi assassinats lâches qui ciblent intellectuels, libres penseurs et politiciens constituent un obstacle majeur à la passation de pouvoir pour les locataires du Palais présidentiel. Grégoire Kayibanda a laissé derrière lui les tiroirs pleins de squelettes et de problèmes de réfugiés, Juvénal Habyarimana en a hérité et, à tour de rôle jusqu'à aujourd'hui, tous s'adonnent au même exercice de "donner au suivant". Malheureusement ce transfert de pouvoir se fait toujours en l'absence du cédant et le cessionnaire fait semblant d'ignorer le contenu des tiroirs. Qu'en sera-t-il du général Paul Kagame et son potentiel successeur?


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