Le Rwanda est une poudrière, Kagame le gardien
Ça n'exige pas une spécialisation quelconque pour prédire l'avenir d'un pays mal gouverné. Ce qui, par contre, nécessite beaucoup d'efforts et la rigueur de réflexion, c'est la résolution d'une inéquation sociale à plusieurs inconnues, à défaut de quoi le pays s'engouffre dans le chaos. Le Rwanda se trouve présentement, plus que jamais, à la croisée des chemins, l'impasse étant palpable alors que les angles et scénarios sous lesquels les protagonistes essayent d'aborder différentes problématiques illustrent une véritable poudrière à bord d'explosion.
L'ironie du sort est que le général Kagame, au centre d'un désaccord féroce entre "pros" et "antis", continue de s'imposer en maître du jeu avec sa double silhouette de pyromane pompier. Ce dernier vient de tripatouiller la constitution dans le seul but de se maintenir indéfiniment au pouvoir, ce qui fragilise plus cette nation à l'histoire peu glorieuse.
L'opposition inexistante au Rwanda s'agite comme d'habitude et dénonce depuis son exil les velléités autocratiques du général Kagame tandis que les puissances occidentales se disent "déçues" sans pour autant donner le signe d'inquiéter le président désormais surnommé monarque du Rwanda. Puisque les Rwandais semblent croire que la solution à leur problème viendra d'eux-mêmes, il convient dès lors de l'admettre et de puiser dans leur culture pour suggérer un mode de résolution du différend [relativement à la passation du pouvoir] en empruntant le symbolisme du serpent enroulé autour d'un pot de lait. Comment écarter le serpent du pot diligemment et sans casse? En d'autres termes, quelles actions concrètes faut-il entreprendre en vue de désamorcer la poudrière rwandaise?
Kagame a créé un système incontrôlable sans lui
Le général Kagame est un fin stratège. Fort du soutien indéfectible des Etats-Unis, il a su se débarrasser à temps de toute personne susceptible de lui barrer la route ou lui faire de l'ombre, y compris le charismatique fondateur du Front patriotique rwandais (FPR), Fred Rwigema et autres commandants de première heure, émergeant ainsi comme le seul héros de la "guerre de libération du Rwanda" [1990-1994]. Grâce à un puissant lobby en Occident les détracteurs étrangers, notamment les tuteurs de l'ancien régime hutu, sont réduits au silence au moment où plusieurs millions de dollars sont investis dans les firmes de Relations publiques en vue de la visibilité accrue et l'image de marque pour le héros. Le culte de la personnalité devient intense autour du général Kagame qui n'a plus rien à envier au Russe Staline ou au Nord-Coréen Kim Jung Un. Le Rwanda est pour Kagame une vaste entreprise dont il se présente fièrement comme le PDG, disant calquer sa politique sur le modèle singapourien. Par ironie le Rwanda est désigné comme le Singapour africain. En effet, Kigali la capitale est devenu une île de richesse dans un océan d'extrême misère. De gré ou de force le menu peuple apprend à adorer le général Kagame le Tout-puissant et l'omniscient, le jumeau de Jésus-Christ, l'unique dirigeant capable du Rwanda.
Cette image fallacieuse de Kagame traverse les frontières et s'étend sur l'Afrique et d'autres continents. Une anecdote mérite d'être racontée ici: En 2003, alors que le Rwanda procédait à son premier scrutin présidentiel au suffrage universel après le génocide, le général Kagame est sorti vainqueur avec 95% de voix. L'élection fut effroyablement truquée à telle enseigne que le candidat de l'opposition, l'ancien Premier ministre Faustin Twagiramungu s'est vu, au grand dam de ses partisans et des observateurs de tous horizons, accorder une bagatelle de 3%. Un diplomate belge qui par après a rencontré l'équipe de M. Twagiramungu ne pouvait que regretter et requérir l'anonymat en répondant à la question de savoir quelle devait être la réaction de son pays : "Écoutez, nos gouvernements [occidentaux ndlr] n'ont pas les mêmes émotions que nous. Il y a des craintes que si Kagame est éjecté il peut déstabiliser le Rwanda ou retourner dans le maquis et déstabiliser toute la région. Donc nos gouvernements choissent de sacrifier la démocratie au profit de la stabilité régionale"[L'auteur est l'un des témoins de cette massive fraude électorale qui rend témoignage.]
Extrêmement allergique à toute forme de compétition ou d'opposition, le général Kagame a instauré au Rwanda la culture d'éliminer physiquement [thanatocratie] ou, [à défaut], jeter les opposants réels et supposés en prisons ou les soumettre à des conditions de vie inhumaines. Ce climat de terreur fait en tout cas penser à une certaine peur qui ronge le potentat paranoïaque lui-même ainsi que son entourage, angoissés surtout par la grogne qui ne cesse de monter parmi les officiers de l'armée rwandaise. En effet, ces derniers n'étant pas non plus à l'abri de la cruauté du régime pourraient se trouver parmi les instigateurs du changement. Et la question de curiosité reste : à quoi ressemble le scénario de succession du général Kagame, et au sens plus large, du régime FPR?
La crétinisation à son paroxysme
On appelle tyrannie le type de régime politique créé par le général Kagame. Ayant été fortement marqué par le dédain manifesté à son endroit par les premiers compagnons de Fred Rwigema, les Majors Dr. Peter Bayingana et Chris Bunyenyezi qui l'ont d'amblée qualifié de "physiquement et intellectuellement inapte" de diriger le Front, le major Kagame à l'époque s'est résolu à rabaisser voire se débarrasser de toute personne qui se qualifie d'intellectuelle ou meilleur combattant. Bayingana, Bunyenyezi, Kayitare et une bonne kyrielle d'officiers et cadres du FPR ont connu une disparition pour le moins mystérieuse. Pour leur survie les grands savants, experts et officiers servant dans son administration doivent garder le profil bas, concéder leurs succès puisque toute réussite au sein du FPR (et globalement au Rwanda) est due au seul leadership du général Kagame. Alors que le gouvernement est en retraite avec toute la classe politique et la société civile en 2014, le premier ministre à l'époque Pierre Damien Habumuremyi déclare au général Kagame: " À l'exception de votre Excellence, nous avons tous au gouvernement raté nos objectifs." Paradoxalement le gouvernement échoue et le général Kagame réussit! Qui peut donc s'arroger une invention quelconque ou un projet admirable au Rwanda sans risquer de faire de l'ombre à Son Excellence? En effet toute personne qui pèche par popularité est automatiquement dans le viseur du général.
La crétinisation atteint son paroxysme quand, dans le cas présent, l'élite intellectuelle et politique, tant autour du général que dans le camp adverse, sombre dans l'hystérie pro et anti-Kagame, ignorant complètement l'essentiel idéal de la politique : la Liberté. Nous avons une nation où les citoyens libres sont invisibles et n'ont pas droit à la parole, alors que les affaires sont aux mains des captifs bruyants qui se livrent une querelle sans merci, "roue dessus roue dessous" [Gatebe gatoki] sans jamais triompher. Derrière Kagame ou contre lui, les intellectuels rwandais font honte par cette servitude volontaire de se laisser tenir en laisse par des va-t-en-guerre; ils font honte par cette arriération de s'abandonner dans le piège de l'estomac [Intelligence gastradelphe], affriandés par des gains personnels, en laissant tomber le peuple. En effet, devant la situation aussi obscure que celle du Rwanda où les individus se lancent en politique non pour exercer la pensée mais pour se dénevroser, l'urgence est de réveiller la conscience des citoyens affranchis de toute forme d'aliénation afin de pouvoir ériger de solides garde-fous et amortisseurs de tensions.
Ainsi prenait belle fin le règne du roi Crétin
La situation actuelle illustre parfaitement le récit, très populaire au Rwanda, du pays des Crétins [Ubwidishyi]. Roi Crétin [Umwidishyi] avait donné l'ordre de tuer toutes les vieilles personnes pour purger son royaume. Il en fut ainsi comme tous les Crétins [Abidishyi] fidèles à leur roi égorgèrent leurs vieux parents, excepté un seul qui a pris le risque, encore le gros risque, de cacher son vieux géniteur. Roi Crétin multiplia des abrutissements sous l'admiration de ses Crétins qui n'avaient que "D'accord!" [Yego Mwidishyi!] pour réplique à tout ce que le roi édictait, suivi d'acte immédiat. Au sommet de la bêtise Roi Crétin ordonna à ses Crétins de lui faire un costume en peau de zèbre. Sitôt dit sitôt fait un zèbre abattu, et le roi fut entièrement enveloppé dans la peau fraîche. Roi Crétin était vraiment fier de son nouvel accoutrement! Mais très vite les choses commencèrent à tourner mal pour Roi Crétin, et la réaction de ses Crétins ne pouvait que rester la même, avec le même enthousiasme:
-J'ai froid Crétins!
-D'accord, tu as froid Crétin!
-Mettez-moi au soleil Crétins!
-D'accord, qu'on te mette au soleil Crétin!
-La peau me serre Crétins!
-D'accord, la peau te serre Crétin!
-Au secours Crétins!
-D'accord, qu'on te secoure Crétin!
-Je meurs Crétins!
-D'accord, tu meurs Crétin!
Etc. etc.
Le soir arrivé, le Crétin qui avait caché son père alla lui apporter de la nourriture et, comme à l'accoutumée, lui raconta l'histoire du nouveau vêtement du roi. Le vieillard fut très sensible en apprenant que le roi allait mourir à cause de son entourage crétin et, sans se soucier de la condamnation à mort de tous les vieux, demanda à son fils de l'amener à la cour de Roi Crétin. Ce dernier était à la porte de la mort quant le seul vieux rescapé fit irruption et demanda aux jeunes Crétins d'apporter de l'eau. Ces derniers, ne sachant quoi faire étaient en train de pleurnicher puisque Roi Crétin n'était plus capable d'émettre ses ordres.
Humectant la peau du zèbre qui l'étouffait, le vieux rescapé parvint à sauver Roi Crétin. Ce dernier fit éloge à la sagesse des personnes âgées et ordonna que tous ceux qui avaient pu les cacher les fissent venir afin qu'ils soient honorés. Cependant tous les Crétins avaient tué leurs parents, sauf un seul. La morale de l'histoire est que pour sauver la nation rwandaise et lui ouvrir des horizons durablement optimistes, il faut désamorcer toutes les tensions. Si le Rwanda est une poudrière et que la cordelette de détonation est roulée autour du général Kagame [de la même manière qu'elle était roulée autour du général Habyarimana], ne serait-il pas crétin d'ignorer Albert Einstein qui nous enseigne que "La folie, c'est de faire toujours la même chose et s'attendre à un résultat différent"? La balle est dans le camp des génies, mais attention aux génies crétins!