"Désubuntusation"
L’ubuntu, qui marie humanisme et grâce, constitue la base de l’harmonie sociale. L’attitude d’ubuntu rayonne les sens de dignité, de charité, de solidarité, de compassion et de sociabilité.
L’une des principales manifestations de l’ubuntu dans la société rwandaise est, la culture de «gutabara» (accourir, secourir, compatir, soutenir, contribuer) et «gutwerera» (contribuer). Le gutabara répond sans compter aux situations d’«urubunza». Le mot urubanza que traduit «procès» signifie toute situation nécessitant, pour se résoudre de la bonne façon, le concours de la communauté. Le mariage, le baptême, la célébration du don de vache et le décès sont des procès au sens d’urubanza. Mais, toute situation de menace à la vie ou à la dignité humaine, appelle l’élan de gutabara. Ainsi, le «guheka» (transport de malade, de femme enceinte) est une mœurs de tradition ancienne, non monnayable. Le procès au sens du droit, la prison appellent également cet élan d’ubuntu.
Au Rwanda post 94, l’ubuntu se meurt dangereusement. Autant en 94 des Rwandais ont été conduits aux abattoirs sans secours, autant depuis les Rwandais sont de marbre face aux souffrances de l’autre, l’autre qui ne leur est pas proche. Chacun a ses propres souffrances, chacun a sa croix. «À Kigali, je me suis retrouvé à l’étranger chez moi», dit Rosalia au retour d’une visite au Rwanda après plusieurs années d’exil. Évidement les gens qui vivent là-bas doivent eux, se connaître. Hélas, même ceux qui se connaissent s’ignorent. Non pas qu’ils sont trop occupés, plutôt par instinct de méfiance. On se méfie l’un de l’autre, parce que le contexte est tel qu’on s’attend de l’autre une menace plutôt qu’un élan de secours. Mais le plus troublant, une situation qui jadis aurait rassemblé le monde pour conjurer le mal, aujourd’hui divise ceux qu’elle aurait unis. Face à un décès ou un procès par exemple, des Rwandais pleurent et d’autres se réjouissent ! Ainsi l’ubuntu se meurt.
Il faut que cela change. Doit-on se mettre à genou et demander l’envoie d’un messie ? Le défi est plutôt simple. Autant nous avons réussi à détruire l’ubuntu par la publicité de faits diaboliques, autant nous la reconstruirons par la communication des sens essentiels de gutabara.
[Tiré de Pourquoi Nos Fossyeurs Sont-ils Vos Héros?]