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Longue et douloureuse transition vers l'épisode postgénocide


Le général Paul Kagame et son Front patriotique rwandais (FPR) viennent de conclure un autre contrat de bail avec le peuple rwandais, l'épée sur la gorge, pour un séjour prolongé au Village Urugwiro. En effet, la constitution du Rwanda a été tripatouillée en fin de l'année 2015 pour uniquement permettre à l'homme fort au pouvoir depuis 1994 de rester dans son fauteuil indéfiniment. Loin donc d'être la sollicitation populaire, comme le veut faire entendre le régime impopulaire qui ne se maintient que grâce à la terreur sur la population et aux appuis des puissances occidentales, la consécration du général Kagame comme figure irremplaçable cache difficilement le malaise et l'angoisse dus à l'échec de la réconciliation des Rwandais.


L'enjeu est de taille. Pendant 23 ans (puisque le mandat de Paul Kagame touche à sa fin en 2017) le régime aura bien réussi une chose : écarter le rationnel et promouvoir le crétinisme citoyen. Au moment où des faits longtemps occultés commencent à ébranler la rhétorique entourant le génocide des Tutsi [Ref. Rwanda's untold stories] et que le FPR s'est avéré incapable de dissimuler ses crimes de guerre commis avant et après la prise du pouvoir, [après tout, les faits sont têtus], s'accrocher au pouvoir et probablement y mourir semble être la seule option qui s'offre au général président. Ses protecteurs occidentaux [en l'occurrence les Etats Unis d'Amérique et le Royaume Uni] s'en retrouvent fort embarrassés car Paul Kagame aura été un spécimen rare de leur imagination du "new breed of African leaders" [nouvelle génération de leaders africains] selon Bill Clinton.


En fin de compte les espoirs se sont effondrés, au Rwanda comme à l'extérieur, la Maison Blanche se disant dernièrement être déçue par le penchant monarchique de son protégé. Le Rwanda se trouve entouré d'ennemis suite aux attitudes bellicistes et expansionnistes du général Kagame qui se fait citer dans des affaires d'assassinat de quatre chefs d'Etat. Ainsi le peuple rwandais doit-il composer avec l'imposture FPR qui a l'air d'un complot international en s'attelant d'abord à sa propre décrétinisation, afin d'ouvrir la voie à une véritable transformation sociale postgénocide.


I. Simulacre de réconciliation


Le paradoxe est d'autant vexant à observer l'exclusion scandaleuse des compagnons de libération au profit de "l'ironique intégration" des anciens ennemis et miliciens génocidaires. Cette intégration, quoique pratiquée sous le fallacieux prétexte de réconciliation, a suscité des soupçons et des scepticismes on ne peut plus pertinents. De l'avis de plusieurs personnes au Rwanda et au niveau international, le temps était d'amener devant la justice tous ceux qui se sont rendus coupables du génocide et des autres crimes de guerre. "Pas question de s'assembler [ceux qui se ressemblent?] et de se pardonner mutuellement ou s'offrir une amnistie générale, les criminels de l'ancien régime, ainsi que ceux du Front patriotique rwandais doivent tous être jugés sur le même pied d'égalité et répondre de leurs actes..." a dit un ancien allié de Paul Kagame, Joshua Ruzibiza qui, de son vivant avait accusé le président rwandais d'être génocidaire. Monsieur Ruzibiza était extrêmement dégoûté par ce qu'il a qualifié de mascarade de réconciliation.

Certains ne manqueront peut-être à dire que grâce au génocide des Tutsi le FPR a réussi à noyer le monde dans une goutte de larmes et détourner tous les yeux des flots de sang que faisait couler son armée de conquête (APR) sur son passage vers Kigali et, pire encore, camoufler l'idéologie raciste dont sont revêtus les campagnes du gouvernement rwandais à travers les vastes forêts de la République démocratique du Congo (RDC) anciennement Zaïre.


La mémoire des uns, omission délibérée des autres


Aujourd'hui la question est de savoir qui au Rwanda a droit de garder la mémoire des siens tués pendant ou après le génocide. La tendance générale tracée par le gouvernement est de garder uniquement la mémoire des Tutsi victimes du génocide. Un haut fonctionnaire de l'Etat et patriarche du FPR, Monsieur Tito Rutaremara, a solennellement déclaré à la radio qu'aucun Hutu n'a été victime du génocide, ajoutant que tous les Hutu sont plutôt des génocidaires. Ces propos racistes de M. Rutaremara n'ont jamais été condamnés, ni par les autorités rwandaises ni par la communauté internationale. Signe de cautionnement! Au moment où une semaine de deuil est annuellement observée pendant le mois d'avril, au cours de laquelle les rescapés tutsi ont droit d'organiser les cérémonies de commémoration, ce geste s'avère tout à fait discriminatoire puisque les doléances des populations victimes des tueries de l'APR n'ont jamais été entendues. A titre d'exemple choquant, au lieu d'autoriser l'inhumation en dignité des milliers de personnes massacrées par le FPR dans la région de Byumba, leurs restes ont été excavés et calcinés sans ménagement avec de l'essence. Un ancien maire de Kibali fut limogé de ses fonctions pour avoir tenté de demander publiquement au général Paul Kagame (alors Vice-président de la République) quand le gouvernement prévoyait l'inhumation de ces restes.

Les juridictions Gacaca dont l'objectif final était de réconcilier le peuple rwandais a littéralement échoué cette noble mission dès l'étape de collecte d'information sur le drame rwandais. Les victimes hutu et les criminels tutsi ont été complètement ignorés. Ignorés comme si les victimes n'avaient pas la valeur d'hommes. Somme toute, le processus Gacaca doit reprendre dans toutes ses étapes afin d'établir la vérité, seul préalable d'une justice équitable et d'une réconciliation authentique, car jusqu'ici la justice [tant rwandaise qu'internationale] n'aura servi qu'à exaspérer les tensions entre Rwandais.


II. Culture du non-dit: véritable bombe à retardement


Il existe au Rwanda des sujets dont on ne parle que dans la haute discrétion. Bien que commis sous les yeux du monde, personne ne prend le risque de soulever la question relative aux crimes du FPR et son armée. La frustration et la méfiance sont telles que toute personne vivant au Rwanda ou se sentant en proximité avec un proche du pouvoir de Kigali s'applique un bâillon ou censure soigneusement ses propos. "For the sake of the reconciliation" (au nom de la réconciliation), il ne faut pas parler des milliers d'innocents Hutu qui languissent en prison ou qui y ont péri, nombreux à cause de leurs propriétés squattées ou enviées par les nouveaux maîtres du Rwanda ainsi que par des rescapés du génocide. Il ne faut pas non plus parler des syndicats de délateurs qui ont fait des ravages après le génocide en transformant ce désastre social en un fonds de commerce hautement rentable au moyen d'extorsions sur les compatriotes hutu.

Seuls les témoignages des rescapés et des Tutsi (qui la plupart du temps n'étaient pas au Rwanda ou se cachaient dans des plafonds pendant le génocide) sont considérés comme fiables, tandis que les témoignages produits par les Hutu dans le sens de disculper un accusé sont souvent jugés subjectifs et réfutés. Le chantage du gouvernement rwandais qui consiste à accuser à tort et à travers ses adversaires et tout critique de révisionnisme et de divisionnisme menace dangereusement la liberté d'expression et induit tout discours à la scrupuleuse complaisance vis-à-vis de la volonté des tenants du pouvoir. Au cours de la campagne présidentielles de 2003, monsieur Faustin Twagiramungu a failli se faire lyncher lorsqu'il a demandé à ses supporters au cours d'un meeting de se lever et observer une minute de silence en mémoire des victimes du génocide, celles des massacres de Kibeho, ainsi que celles qui ont péri dans les forêts du Zaïre. Ce geste a irrité le président Kagame et son entourage (le FPR) qui ont immédiatement taxé le candidat de l'opposition d'extrémiste et lui ont prêté, en vue de s'attirer la sympathie de la communauté internationale et frustrer les supporters de l'ancien Premier ministre, l'intention de jouer la carte ethnique en évoquant la mort des Hutu. Une autre opposante, Victoire Ingabire, a été condamnée à 15 ans de prison pour avoir évoqué l'absence des mémoriaux pour les victimes hutu, alors que les mémoriaux abritant les victimes tutsi sont omniprésents. Les deux candidats présidentiels hutu ont été rejoints par les dissidents tutsi qui s'indignent des préjudices subis par les Hutu, en l'occurrence le rescapé du génocide Déogratias Mushayidi qui en a écopé d'une prison à perpétuité.


La communauté internationale qui jusqu'ici ne sait pas justifier son incapacité d'arrêter le génocide des Tutsi en ressent tellement le complexe qu'elle n'ose pas contredire ou demander les comptes au Front qui a libéré le pays. En effet, l'ONU et les puissances occidentales sont à court d'arguments quand il est question de savoir où elles étaient quand le FPR arrêtait "seul" le génocide sans leur assistance. Le sentiment de culpabilité de cette communauté internationale la rend donc petite devant le FPR et la place en position de faiblesse de sorte qu'elle se sent obligée de cautionner toutes les aventures du général Kagame, incapable donc de faire des leçons à celui qu'elle a rendu démesurément fort. Voilà comment les Rwandais se sont retrouvés pris en otage par une clique d'intouchables aux humeurs atrabilaires, à qui pour longtemps tous les forfaits semblaient impunément autorisés.


Au bout du compte, l'observateur éclairé ne serait pas erroné d'affirmer que si le gouvernement rwandais maintient le statu quo et la communauté internationale sa complaisance, tous les processus dans lesquels le peuple rwandais est engagé sont voués à l'échec. L'unité et la réconciliation ainsi basées sur la frustration et l'hypocrisie, qui excluent le dialogue franc et contradictoire, constituent plutôt une grosse bombe à retardement.


III. L'absence de dialogue franc menace le Rwanda d'autres hostilités


Admettons que le FPR s'est fait offrir une aussi longue période de transition, 23 ans en tout, pour remettre le pays sur les rails après la catastrophe de 1994. Pendant cette période de redressement le FPR était sensé tout d'abord rétablir le tissu social rwandais et résoudre une fois pour toutes le problème des réfugiés. L'amer constat aujourd'hui est que, en dépit de la stabilité prolongée, le tissu social rwandais connaît toujours plusieurs déchirures. Le Rwanda connaît actuellement un régime d'une violence extrême jamais observée sous la République en temps de paix.

Le pouvoir de Kigali continue de refléter largement l'absence de l'ouverture politique, à ce jour où près d'un demi million de Rwandais sont réfugiés, éparpillés sur tous les continents. Ce pouvoir est dominé pour ne pas dire complètement contrôlé par le FPR et ses partis satellites, et l'opposition qui évolue en exil (le cadre intérieur étant pratiquement hostile) ainsi que les citoyens opprimés de l'intérieur n'ont cessé de dénoncer l'exclusion et la chasse aux sorcières. Regroupant des réfugiés de toutes les tendances, cette opposition est perçue comme un interlocuteur valable avec lequel le gouvernement de Kigali est sensé élaborer conjointement des solutions aux multiples défis qui pèsent lourdement sur la nation.


A défaut de trouver un consensus sur certaines questions de fond, le gouvernement du Rwanda s'expose inévitablement à une menace permanente de conflits internes dont l'ampleur ne doit être sous-estimée. Pilier supposé de la véritable unité et réconciliation la justice rwandaise a fait, pendant ces 22 années qui viennent de s'écouler, preuve de la subjectivité la plus honteuse de notre l'histoire. Elle a donné l'impression de jugement des vaincus par les vainqueurs et a créé un précédent extrêmement dangereux au cas où le pouvoir devait être transféré au gestionnaire autre que le FPR.


IV. Pouvoir corrompu et corrupteur


La procureure Carla del Ponte du TPIR s'est vue refuser, au grand enchantement des autorités de Kigali en 2003, le mandat qui devait lui permettre de poursuivre les enquêtes qu'elle avait débutées sur les crimes du FPR et son armée. Madame del Ponte fut, suite à un plan machiavélique fomenté par le gouvernement du Rwanda et pour des motifs extrêmement dérisoires, dépossédée de ses pouvoirs de procureure du TPIR. Et pourtant, selon ses déclarations, la Suissesse aurait de loin préféré s'occuper du Tribunal d'Arusha (TPIR) plutôt que du TPIY (l'ex-Yougoslavie) que le Conseil de Sécurité des Nations Unies lui a imposé. L'influence du gouvernement rwandais sur les décisions du Conseil de Sécurité de l'ONU marque un tournant dangereusement raté dans la poursuite de la vérité et la réconciliation des Rwandais entre eux et avec la communauté internationale.


Il est en effet indispensable et incontournable de mettre la lumière sur les crimes commis par les uns et les autres au Rwanda car, si l'objectif est de réconcilier véritablement, tout le monde doit assumer ses responsabilités. Quant à la communauté internationale, elle a récidivé sa défaillance en courbant la tête devant un gouvernement qui a mis les bâtons dans les roues d'une juridiction onusienne. Il est évident qu'en cautionnant une attitude aussi inacceptable du gouvernement rwandais, la communauté internationale a créé un précédent extrêmement malheureux et s'est exposée en même temps à des défis ultérieurs quant à la résolutions d'autres conflits similaires qui pourraient survenir dans la région.


Depuis les temps immémoriaux, le partage équitable du pouvoir entre les différentes composantes de la société rwandaise s'est avéré être la pomme de discorde, particulièrement entre deux groupes ethniques rivaux, les Hutu majoritaires et les Tutsi minoritaires. Dans l'objectif de jeter de la poudre aux yeux de la communauté internationale, le régime tutsi du FPR a malicieusement occulté la question ethnique en déclarant qu'il n'existe ni Hutu, ni Tutsi, ni Twa au Rwanda, que la seule identité pour tous est "Rwandais". Toutefois les critères ethniques sont partout présents jusque dans la constitution du pays où les groupes longtemps marginalisés (i.e. les Twa) et ceux qui ont subi les persécutions et génocide sous les régimes hutu (i.e. les Tutsi) font l'objet d'une attention particulière.


Le monde des affaires et les privilèges fonciers marquent des inégalités ethniques au Rwanda actuel, les richesses étant concentrées entre les mains d'une minorité de personnes vivant dans l'opulence, tandis que la majorité de la population croupit dans la pauvreté extrême. La politique foncière du FPR aura été désastreuse voire voué à l'échec puisque le partage forcé des terres sans aucune forme de compensation ainsi que l'imposition des cultures ont pour résultat des famines endémiques sur l'ensemble du territoire rwandais. Cette politique continue de susciter des murmures au sein de la population [certains choisissant de s'exiler] et risque, à la longue, de replonger le pays dans d'autres conflits sanglants.


Toutes ces questions et tant d'autres d'intérêt majeur exigent une analyse minutieuse et inclusivement concertée en vue de mettre définitivement fin aux injustices sociales qui rongent le Rwanda depuis plusieurs siècles. La tâche est sûrement ardue, mais la seule volonté politique de la part du gouvernement rwandais suffirait pour lever certains paradoxes et amorcer la recherche d'une panacée.

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