Grosse perte dans la fermeture de Gahuzamiryango

Je ne peux en croire ni mes yeux ni mes oreilles. La suspension des émissions de la BBC en Kinyarwanda (Gahuzamiryango) par le régime FPR trouve de plus en plus des partisans, cette fois-ci dans le camp des fervents militants du changement. Mes amis François Munyabagisha, Philippe Mpayimana et Abdallah Akishuri entre autres, sont d'accord sur le principe de chasser la radio britannique du Rwanda. Ils soutiennent tous que la BBC est soit un outil de la colonisation, soit un agent divisionniste ou simplement un machin inutile pour les Rwandais. Je délire ou quoi?

La décision de suspendre définitivement la BBC remonte à mai 2015 après que la commission dirigée par Monsieur Martin Ngoga (ancien procureur général) et comprenant Monsieur Christophe Mfizi (ancien directeur de l'ORINFOR sous le régime Habyarimana) et Monsieur Evode Uwizeyimana (ancien opposant reconverti flatteur), ait conclu que la BBC est négationniste du génocide rwandais. Il faut noter en passant que le sieur Evode s'est fait une bonne réputation dans le temps en tant que critique du régime FPR grâce à des débats organisés par Gahuzamiryango.

A l'origine de toute l'agitation se trouve un film documentaire intitulé "The Rwandan Untold Story" diffusé par la BBC en octobre 2014. Bourré d'une série de révélations sur les crimes de guerre commis par le FPR tout au long de son cheminement vers le pouvoir et même après sa victoire, le film réalisé par la journaliste Jane Corbin dérange par son audace de réduire en morceaux le mythe Kagame. La plupart des révélations et de confessions contenues dans "The Rwandan Untold Story" sont des secrets de Polichinelle, mais le régime avait pris soin, pendant 20 ans, de les occulter grâce à un lavage de cerveaux destiné à faire du général Kagame un politicien irréprochable.

Au nom de la réconciliation, les Rwandais ne doivent pas faire allusion aux innombrables crimes commis par le FPR. Ils ne doivent pas non plus faire appel à des références ethniques. Le régime s'évertue en vain à faire oublier ses crimes qui ont essentiellement ciblé les Hutu par l'abolition des ethnies au Rwanda, mais ses penchants ethnocentristes l'ont amené à faire mention des Tutsi dans la constitution en ignorant les Hutu et les Twa. Le régime qui redoute une possible mobilisation des Hutu autour de leur misère a préféré la crétinisation du peuple à la culture du débat, s'appuyant uniquement sur la terreur et l'abrutissement pour assurer sa survie. C'est pour cela que la diffusion de "The Rwandan Untold Story" a fortement secoué le mythe. La recherche effectuée au Rwanda a montré que le programme Gahuzamiryango de la BBC était régulièrement suivi par près de trois millions de Rwandais, ce qui constituait la plus grande audience nationale jusqu'à sa suspension définitive. L'ironie du sort, c'est que les émissions de la BBC en langue anglaise restent aujourd'hui diffusées au Rwanda mais ces dernières bénéficient d'une audience très limitée.

A mon sens, la suspension de Gahuzamiryango est une grosse perte pour le public rwandais, à plusieurs égards. Son programme Urunana aura par son efficacité contribué au changement des mentalités au sein de la population. Le professionnalisme de la chaîne britannique venait par exemple d'inculquer la culture du débat contradictoire dans l'esprit des Rwandais, ce que nous ne pouvons pas attendre des stations locales inféodées. Cette dimension pédagogique échappe aux détracteurs qui avancent des arguments grotesques tel que l'image coloniale de la BBC.

Au moment où la notion de débat démocratique peine à se concrétiser au Rwanda, l'absence de Gahuzamiryango constitue un énorme recul et un obstacle majeur à la liberté d'opinion au Rwanda. Le musellement et la fermeture des médias non inféodés, c'est la politique du régime qui s'est avéré liberticide, c'est pourquoi je trouve absolument paradoxal que les gens sensés promouvoir la liberté d'expression et la liberté politique s'alignent sur la stratégie chère au FPR. Qu'en pense un citoyen rwandais qui vit à l'intérieur du Rwanda et qui se retrouve asphyxié par une série de mesures anti-médiatiques du gouvernement?

Quant à moi je reste inconsolable de la disparition de Gahuzamiryango.