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L'apolitisme chez l'intellectuel rwandais

  • Ismaïl Isidore Mbonigaba
  • 23 mars 2016
  • 5 min de lecture

Si l'apolitisme est inacceptable pour un intellectuel conscient de sa responsabilité citoyenne, l'intégration dans les structures du pouvoir n'est pas non plus la meilleure façon de s'engager en tant qu'intellectuel clientéliste. Les intellectuels rwandais doivent donc reconnaître et jouer leur rôle d'opposition morale en déblayant le chemin de la démocratie et en balisant le jeu politique, sinon le cafouillage politique continuera à profiter aux populistes qui savent manier l'art du verbe.


Alexis Kalisa: Ici nous avons des intellectuels en face d'un tyran qui tolère l'intelligence lors qu'il s'agit de prison ou pire "la mort". Alors de quoi parlons nous? Beaucoup ont essayé ....


Philippe Mpayimana: La notion de clientélisme que tu chéris, mon cher Isidore, tu l'introduis dans l'esprit de critiquer les intellectuels. Je t'invite à critiquer la société rwandaise en général, plutôt. Il vaut mieux étudier le niveau de la liberté des intellectuels et la stratégie des partis politiques au pouvoir au Rwanda. Il vaut mieux surtout étudier le niveau de la liberté des citoyens en général, avant d'indexer les intellectuels. Tu sais bien la société rwandaise est héritière d'une longue période de féodalité. La tentative de révolution s'est heurté sur une création d'un nouveau problème : ethnique. Peut-on avoir des intellectuels nouvelle génération, capables de couper court avec le passé, désobéir à la tradition, critiquer nos parents, imposer la modernité, l'application du code républicain pur et simple. Je vois les commentaires qui se dirigent tout de suite contre Kagame comme si c'est lui qui inhibe la liberté des intellectuels. Je vous rappelle la réponse que lui/même a donné à Havard: qu'il est lui aussi victime de la situation. C'est bien de faire agir les intellectuels, s'il y en existe. On ne pourrait partir par exemple que de cette déclaration du chef de l'état pour soigner notre société


Isidore Mbonigaba: Monsieur Philippe Mpayimana, je vous rejoins corps et âme sur le point d'imposer la modernité à l'élite rwandaise. En effet, nous continuons de souffrir des retards sur tous les plans notamment idéologique et politique. Le leadership républicain n'a pas su faire la différence par rapport à la monarchie, tandis que le clientélisme d'antan sert toujours de modèle aux fonctionnaires de l'Etat. Pour moi ce serait complètement niais d'attribuer ce manque d'évolution à la seule culture et d'absoudre la classe intellectuelle après énièmes révolutions: 1959, 1973, 1994. Et le changement ne semble pas pointer à l'horizon, malheureusement, puisque le slogan reste le même : Vamo na njye njyemo, Gatebe gatoki, avec les mêmes prétextes meurtriers. Aucune idée nouvelle. Récemment je disais que la créativité fait lamentablement défaut à nos politiciens. Quant aux critiques qui sont directement dirigées contre le général Kagame, vous n'ignorez pas vous-mêmes ses attitudes despotiques et son intolérance envers les penseurs libres. Pour survivre, il faut cacher l'intelligence dans l'estomac (suivez le lien dans lequel j'analyse la crétinisation du peuple rwandais par le FPR). Si le chef de l'Etat n'est pas capable de laisser les intellectuels agir dans l'intérêt général, il n'y a pas à douter que le Rwanda va droit vers une autre catastrophe. Alors, comment faire agir les intellectuels? Je crois que c'est ce que nous sommes en train de faire, mon cher Philippe.


Philippe Mpayimana: Mon cher Isidore, nous sommes d'accord sur un point : le devoir qui nous incombe de faire agir les intellectuels, mais pas d'accord sur un autre : de condamner Paul Kagame. Le mal de la société rwandaise ne peut se résoudre qu'en reconnaissant son rôle dans l'amélioration et non dans la détérioration de la situation. C'est à dire qu'une réforme qui s'inscrit dans la continuité est possible.


Isidore Mbonigaba: La continuité de Kagame bien sûr... Mais remarquez que c'est aussi le signe de fragilité du système que le même Kagame a rendu incontrôlable sans lui. J'espère que vous n'allez pas me répéter les mêmes âneries que celles des pseudo intellectuels qui affirment que le Rwanda ne peut pas progresser sans Kagame.



Philippe Mpayimana: La continuité je ne veux pas dire maintenir Kagame indéfiniment, je veux dire intégrer sa philosophie dans la suite. Même ceux qui disent qu'en 2017 il ne peut avoir de chalengeur à la hauteur des enjeux se trompent, mais la continuité se prépare aujourd'hui, dans le respect des aspects positifs actuels pour ne toucher que le négatif le jour J.


Ingoboka Rwitete: Le rôle de l'intellectuel n'est pas être dans "l'opposition", fut ce pour morale. Pourquoi ? Je m'explique :Rappelons qu' un intellectuel est quelqu'un qui produit des idées en écrivant des livres, des articles, des analyses...à partir des recherches, des essais, du journalisme et même de la fiction.

Or toutes les idées ne sont pas produites pour s'opposer. Elles sont souvent des théories, des hypothèses, des constats, des conseils, des réflexions...

Mais l'intellectuel peut effectivement jouer le rôle d'opposition et dans ce cas, il quitte le terrain de l'intellectuel pour celui du politique. Le politique ou politicien est quelqu'un qui cherche nécessairement à mettre ses idées au service de la gouvernance ou de la gestion de la chose publique. Il cherche à exercer le pouvoir.

L'intellectuel devenu politique perd donc sa qualité d'intellectuel dans la mesure il perd également sa neutralité et celle de ses idées. L'intellectuel qui traite des sujets politique sans pour autant faire de la politique se contente en général de dresser le tableau de la situation, d'en dessiner les contour et les persipectives...mais c'est le politique qui, en tenant compte de cela, dit ce qu'il faut faire et comment pour changer les choses.


Isidore Mbonigaba: "Le rôle de l'intellectuel n'est pas être dans "l'opposition", fut ce pour morale [....] Mais l'intellectuel peut effectivement jouer le rôle d'opposition et dans ce cas, il quitte le terrain de l'intellectuel pour celui du politique." (Ingoboka Rwitete) Il est important de distinguer nettement l'opposition morale de l'opposition active ou fonctionnelle. Vous savez qu'en effet les Rwandais sont extrêmement sensibles à toute notion ou évocation à caractère politique. Ils redoutent de façon particulière tout ce qui fait penser à l'opposition, à la lumière des événements toujours récents de notre histoire. L'opposition s'avère un concept négatif qui n'est pas toléré tant culturellement que politiquement. Les détenteurs du pouvoir sont hostiles à tout désaccord, réel et même supposé. Alors, le grand défi actuel est de concevoir les nouveaux paradigmes de la pensée rwandaise. Les Rwandais doivent apprendre que s'opposer (ou ne pas être d'accord), que ce soit entre un homme et sa femme, un parent et son enfant voire un président et son ministre, relève d'abord du droit inaliénable. Tout individu doté de la raison a droit à son opinion, qu'elle soit favorable ou défavorable à l'opinion des autres. Ce simple principe doit être inculqué dans l'esprit rwandais. Ce que je peux considérer comme opposition morale, c'est l'opinion éclairée d'un intellectuel, un sage qui ressent en lui l'obligation et même l'autorité [morale] de porter son jugement sur le point de vue et même une prescription émise par les autorités. Cette catégorie d'opposition morale comprend, comme l'a expliqué Ingoboka Rwitete en haut, des théories, des hypothèses, des constats, des conseils, des réflexions... qui n'ont rien à voir avec la recherche du pouvoir. Les acteurs dans cette catégorie sont des professeurs, des chercheurs, des leaders religieux, des écrivains, des éditorialistes et même des artistes. Tout ce beau monde est souvent considéré comme étant des libres penseurs. Le vice du jeu politique rwandais, c'est de confondre les libres penseurs aux politiciens de l'opposition. Et, côté "intellectuels", le vice est de se confondre aux politiciens engagés et de leur servir d'apologistes à des fins clientélistes. C'est dans ces circonstances que, comme l'aura bien mentionné Ingoboka Rwitete, beaucoup perdront leur neutralité et de là, leur vertu intellectuelle.

 
 
 

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